Le petit ‘’DE GAULLE’’ illustré vu par Le Crapouillot
Auteur Michel Thomas
En mai 1940, j'habitais Boulogne-sur-mer, dans le Pas-de-Calais.
Quand les allemands s'emparèrent de la ville, la première chose qu'ils firent fut de confisquer tous des postes de « TSF », nous coupant ainsi du monde. Très vite je confectionnai un poste à galène qui me permit d'écouter la BBC ; c'est ainsi que je devins gaulliste.
Mais après 1958, conscient d'appartenir à ce que les partisans du général appelaient « l'anti-france », je devins un fidèle lecteur du Canard Enchaîné et appris à relativiser les mérites du personnage.
Sans être un Taliban, je pense que l'idolâtrie est une négation de l'intelligence, et que toutes les vérités sont bonnes à dire.
Ce que je vais évoquer, et qu'a révélé un numéro du Crapouillot paru en fin 1967, est plutôt surprenant, mais n'a jamais été contredit par aucun Peyrefitte.
Né à Lille, le 22 novembre 1890, de parents habitant Paris, Charles, André, Joseph, Marie de Gaulle, fréquenta d'abord le collège de l'immaculée conception, rue de Vaugirard, où son père enseignait la philosophie, l'histoire et la littérature. Catholique intransigeant, patriote ardent, royaliste, Henri de Gaulle compta parmi les premiers sympathisants de l'Action Française. Il n'hésitait pas à stigmatiser, devant ses élèves « la république infâme ».
Admis à Saint-Cyr en 1909, Charles de Gaulle y entre en 1910 après un an au 33ème d'infanterie, à Arras, il en sort sous-lieutenant en juillet 2011 et est affecté à nouveau au 3ème RI d'Arras, commandé par le colonel Pétain qui l'apprécie très-favorablement.
Suite à une blessure reçue le 15 août 1914 et à une scarlatine, c'est seulement le 30 octobre 1915 que le capitaine de Gaulle prend effectivement le commandement de la 10ème compagnie, laquelle rejoint le front à Verdun le 2 mars 1916. Douze heures après de Gaulle est fait prisonnier. La guerre est finie pour lui.
Notice du Grand Larousse Encyclopédique : « Gaulle (Charles de) : homme d'état français... ayant la vocation des armes...se distingue au début de la première guerre mondiale ; grièvement blessé, il est fait prisonnier à Douaumont par les allemands (1916) ».
En fait, sur le faux rapport d'un rescapé, on l'a cru mort et le général Pétain, qui commande à Verdun, a rédigé sur le champ la citation suivante, à laquelle s'ajoute la Légion d'honneur :
« Le capitaine de Gaulle... a enlevé ses hommes dans un assaut furieux et un corps-à-corps farouche, seule solution qu'il jugeait compatible avec son sentiment de l'honneur militaire. Est tombé dans la mêlée ».
La réalité fut cependant assez différente, le 8 février 1916 le capitaine Robert Destouches, commandant la 9ème compagnie du 110ème RI, en ligne devant Douaumont où il a perdu un tiers de ses hommes en une semaine de combat, consigne dans son journal de guerre l'arrivée du capitaine de Gaulle, de la 10ème du 33ème : « Le capitaine qui vient me relever se présente, badine à la main, gants beurre frais, l'air conquérant, dans un vêtement tout propre et tout juste bon à se promener sur le boulevard... De Gaulle est stupéfait qu'il n'y ait ni réseau de fil de fer organisé, ni abris pour les troupes... J'ai beau lui dire que depuis trois jours nous n'avons eu que des attaques, que nous n'avons pas un seul outil de génie, pas une pelle ou une pioche, que nous n'avons pu recevoir un centimètre de fil barbelé... ».
Le lieutenant Peuchot ayant eu la consigne à lui passer pour les mitrailleurs se fait agonir de sottises par cet énergumène, tant et si bien qu'ensemble nous lui répondons textuellement : depuis trois jours nous sommes sous un marmitage épouvantable... nous avons repoussé quatre attaques. Faites en autant et, en descendant, vous nous direz ce que vous avez pu faire ».
La nuit qui suit est calme, mais, vers cinq heures du matin, elle s'embrase. L'artillerie allemande commence un pilonnage intensif. Puis par vagues rapprochées, les allemands surgissent de partout, tirant et lançant de grenades. Le commandant du 3ème bataillon, auquel appartient la 10ème Compagnie du capitaine de Gaulle, est tué d'une balle dans la tête.
Témoignage du lieutenant Casimir Albrecht, du 19ème régiment de réserve de la Reichswer qui a pris sous son feu une sorte de cagna qui lui a paru être un PC : « Au bout d'une demi-heure, j'ai vu apparaître à la sortie du trou un vague tissu blanc..., j'ai ordonné le cessez-le-feu. Quelques hommes sont sortis et c'est alors que j'ai remarqué l'officier qui les commandait tellement il était grand... » Cette reddition est confirmée par le récit de Samson Delpech, soldat de la 10ème Compagnie qui déclare : « nous avons été encerclés et, sous les ordres de notre capitaine de Gaulle nous avons été obligés de nous rendre ».
A l'heure où le général Pétain pleure son cadet tué, le capitaine de Gaulle fait route vers le premier des Offlags où il passera le reste de la guerre.
Témoignage du général Perré, camarade de promotion de Gaulle : « Un de mes amis, qui fut prisonnier avec de Gaulle, m'a rapporté ceci : les boches qui faisaient l'honneur aux officiers français qui s'étaient courageusement battus de leur rendre leur sabre pour certaines manifestations, comme la messe par exemple, ne le rendirent pas au capitaine de Gaulle. Celui-ci le leur réclama sèchement. Les Allemands refirent une enquête sur les conditions de sa reddition... et ne lui rendirent pas son sabre » !
L'écrivain
En poste à Varsovie, puis à Beyrouth, de Gaulle, dont la captivité n'a pas facilité l'avancement, profite de ses loisirs pour écrire.
En 1924, il publie « La discorde chez l'ennemi puis signe en décembre 1925, dans la Revue Militaire Française, une importante étude sur le « rôle historique des places fortes françaises », se révélant un admirateur convaincu de la ligne Maginot « la fortification de son territoire est, pour la France, une nécessité permanente » écrit-il.
En 1931, il publie « Le fil de l'épée ». Ouvrage nietzschéen et volontiers cynique, stigmatisant « la mystique qui tend à maudire la guerre », il proclame « la valeur permanente de la Force, recours de la pensée, pavois des maîtres, rempart des trônes...qui fait la loi aux peuples et règle leur destin » Il exalte les vertus du Chef, dont il écrit : L'homme d'action ne se conçoit guère sans une forte dose d'égoïsme, d'orgueil, de ruse ».
Dans un article publié le 1er janvier 1934 il écrit : « Le régime fasciste permet aux pouvoirs publics de tirer des ressources existantes, sans réserve ni ménagement, tout ce qu'elles peuvent donner. L'impérieuse subordination des intérêts particuliers à ceux de l'Etat, la discipline exigée et obtenue de tous, la coordination personnelle du Duce, enfin cette sorte d'exaltation latente entretenue dans le peuple par le fascisme... favorisent à l' extrême les mesures de défense Nationale ».
Le « Fil de l'épée » peut être considéré comme un témoignage caractéristique d'une sorte de pré-fascisme français.
En 1934, de Gaulle publie « Vers l'armée de métier » ; Il s'y prononce pour la création de divisions cuirassées, mais pose le principe que c'est seulement possible dans le cadre d'une armée de métier. Refusant le concept de nation armée qui a permis la victoire de 1918, il propose de confier la défense nationale à une élite militaire professionnelle. « La guerre de demain, prophétise-t-il, ne sera plus une guerre totale : elle marquera un recours aux conflits limités de l'ancien régime » !
Cet ouvrage ne consacre que quatre pages au rôle de l'arme blindée. De l'avis des spécialistes ces quelques lignes ne présentent, par rapport aux travaux militaires de l'époque, aucune originalité (Général Estienne en France (1920), Lidell Hart et Major général Fuller en Angleterre. Leurs théories ont été publiquement appliquées en Allemagne dès 1932-33).
En revanche de Gaulle ignore complètement, dans son livre, le rôle de l'aviation ; il lui attribue essentiellement une plaisante fonction de camouflage.
Quant à la phrase prophétique dont les biographes gaullistes font grand cas, savoir : « Mais surtout, en frappant elle-même, à vue directe et profondément, l'aviation devient par excellence l'arme dont les effets foudroyants se combinent le mieux avec les vertus de rupture et l'exploitation de grandes unités mécaniques », elle ne figurait pas dans l'édition de 1934. Elle fut ajoutée dans l'édition publiée à Alger en mai 1944.
En 1938, de Gaulle publie « La France et son armée » qu'il dédicace au Maréchal Pétain. En 1925-27 Pétain avait fait travailler plusieurs officiers de son état-major, dont le capitaine de Gaulle, à la rédaction d'une histoire de l'armée qui devait être publiée sous sa direction. Le projet ayant été abandonné, de Gaulle semble avoir estimé qu'il était en droit de le reprendre personnellement et de faire paraître l'ouvrage sous son nom. Pétain n'apprécia pas et fit savoir que « la dédicace qui a été imprimée constitue de la part du colonel de Gaulle un véritable abus de confiance ». (De Gaulle a accédé au grade de colonel en 1937)
Le colonel de Paul Reynaud
Ne pouvant plus compter sur la protection de Pétain, de Gaulle se met en quête de le remplacer et s'oriente vers les milieux politiques, de Léo Lagrange à Maurice Sarraut en passant par Marcel Déat. Dès 1935, Paul Reynaud l'accueille fréquemment, soit à son domicile, soit au palais Bourbon. Ils échangent une abondante correspondance, de Gaulle multipliant, à l'égard de Reynaud les assurances de fidélité : « Je serai au bout du fil, chaque soir après 18 heures... Je rêve d'une intervention de vous… J'aurai des loisirs dont je vous prie d'user à votre guise... laissez-moi vous dire qu'en tous cas je serai, à moins d'être mort, résolu à vous servir s'il vous plaît » !
Et, le 3 mai 1940 : « je n'ambitionne pas d'honneur plus grand que celui de vous servir » écrit-il au nouveau Président du Conseil !
Le 11 mai, après la rupture du front de la Meuse, le colonel de Gaulle se voit confier le commandement de la IVème division cuirassée, en cours de formation près de Laon ; après le succès remporté à Montcornet, il est nommé par Weigand général de brigade à titre temporaire.
Le 5 juin, après que sa division ait été engagée contre le tête de pont allemande d'Abbeville, il est nommé par Paul Reynaud Sous-secrétaire d'état à la guerre et quitte le front. Il semble avoir été envoyé à Londres par Reynaud d'abord pour obtenir l'intervention en France de l'aviation britannique, ce que Churchill refuse, puis pour y préparer l'arrivée soit de Reynaud soit de Mandel, mais le 16 juin, en rentrant à Bordeaux, il apprend que Reynaud a été remplacé par Pétain et que lui-même ne figure pas dans le nouveau gouvernement. Et c'est comme mandataire de Paul Reynaud, et muni par lui d'un viatique de 100.000 francs prélevés sur les fonds secrets que de Gaulle s'envole pour Londres le 17 juin dans l'avion du général Spears qui n'a pas réussi à convaincre Reynaud de l'accompagner.
La suite est mieux connue et appartient à l'Histoire.
Autoproclamé chef de la France Libre, condamné à mort par Vichy, en butte à de violentes jalousies et à des difficultés innombrables, il fallut à de Gaulle une force de caractère peu commune, et une inébranlable confiance en soi pour réussir à s'imposer ; s'il bénéficia toujours de l'appui de Winston Churchill – lequel a cependant déclaré : « de toutes les croix que j'ai portées, la croix de Lorraine a été la plus lourde » - il fut moins bien traité par les américains, d'abord enclins à croire en Pétain, puis préférant Giraud à de Gaulle.
Il est difficile de savoir si son anti-américanisme est inné ou acquis, mais il s'est ouvertement manifesté à maintes reprises.
L'incompréhension entre de Gaulle et les américains commence avec l'affaire de Saint-Pierre et Miquelon, en décembre 1941. De Gaulle fait occuper l'archipel par les troupes de l'amiral Muselier malgré l'opposition des USA, puis il y organise un référendum aux allures de mauvais plébiscite (choix entre « ralliement à la France Libre » et « collaboration avec les puissances de l'axe »).
A Londres le journal gaulliste « La Marseillaise » attaque les américains avec une telle violence que le journal gaulliste de New-York (« Pour la victoire ») refuse de publier l'article.
En 1942 quand les anglo-américains refusent de le laisser attaquer Dakar, lieu, en août 1940, d'un échec qui l'avait beaucoup perturbé, il convoque l'ambassadeur de Staline auprès de la France Libre, Bogomolov, qui transmet au Kremlin le télégramme suivant : « De Gaulle envisage de rompre avec les anglo-saxons. Il m'a demandé si, dans l'éventualité d'une telle rupture finale, le gouvernement soviétique l'admettrait, lui et ses forces, sur son territoire ».
Quand, le 8 novembre 1942, les troupes anglo-américaines débarquent en Afrique du Nord, de Gaulle a, délibérément, été tenu à l'écart. Les alliés ont préféré s'appuyer su le général Giraud, récemment échappé de la forteresse de Koenigstein où il était retenu prisonnier. De Gaulle entre dans une violente colère et La Marseillaise écrit : « La France a subi un tort immense. Devant l'histoire l'occupation par nos amis américains d'une terre qui nous a coûté tant de sang affecte plus gravement le pays que l'occupation par les Allemands des départements français » !
Et ce n'est que sur l'insistance de Churchill et d'Eden que le chef de la France Libre comprend qu'il ne doit pas s'exclure de ce tournant de la guerre.
En 1943 de Gaulle a transféré de Londres à Alger le siège du gouvernement provisoire de la France Libre. C'est là que, le 2 juin 1944, il reçoit un télégramme de Churchill lui demandant de regagner Londres, le débarquement en France étant imminent. Il commence par refuser mais l'ambassadeur Duff Cooper insiste avec force et finalement de Gaulle s'envole pour Londres le 3 juin. Il est d'une humeur de dogue et Eisenhower, qui le met au courant du dispositif du débarquement, en fait les frais. Pierre Viénot, ambassadeur de la France Libre à Londres dira : « il a été odieux ».
Il faut cependant reconnaître que la fermeté dont de Gaulle, fort des 1.300.000 soldats des Forces Françaises Libres, a fait preuve envers les américains, a permis d'éviter à la France libérée de tomber sous administration militaire (AMGOT).
En définitive, Charles de Gaulle apparaît comme un personnage paradoxal qui, après avoir admiré Mussolini et Staline a rétabli en France la démocratie et mis en œuvre le programme socialement révolutionnaire du CNR.
Puis a repris le pouvoir en profitant de circonstances douloureuses, a laissé sévir le SAC, a créé les réseaux France-Afrique, nous a dotés d'une constitution monarchique et a même songé au Comte de Paris pour lui succéder !
Bref, ce militaire était en fait un Politique !