LE REVENU INCONDITIONNEL OU REVENU DE BASE VA-T-IL CONQUERIR L'EUROPE
"Rien n'est plus puissant qu'une idée dont l'heure est venue" - Victor Hugo.
Ce début de siècle ne manque pas de vision d'horreur, nous en sommes abreuvés quotidiennement. Le revenu de base pourrait être la première vision positive du XXIème siècle. À terme, quels sont les objectifs d’un tel revenu inconditionnel, théorisé par grand nombre d’auteurs et économistes depuis Thomas More dans « Utopia » et initié par le militant britannique Thomas Paine au XVIIIème siècle ? Rien de moins qu’éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités, les injustices sociales et émanciper l’individu.
Aujourd’hui, chacun à un revenu, plus ou moins, sinon il ne pourrait pas vivre. Mais sous quelle condition ? Comment chacun obtient-il son revenu ?
- 4 sur 10 travaillent, ce travail procure un revenu suffisant pour vivre.
- Presque 3 sur 10 en majorité les enfants et les jeunes ont un revenu par leur famille,
- 2 sur 10 vivent de leur retraite ou de leur rente.
- Et moins d’un sur 10 de l’assurance chômage ou de l’aide sociale.
Tous les revenus sont le résultat de l’activité économique, mais 41% seulement sont le fruit d’un travail rémunéré, tous les autres sont des revenus de transfert qui ne sont pas directement lié au travail.
Alors pourquoi l’idée d’un revenu de base nous semble si étrange. Ce qui semble étrange, c’est que le revenu de base est inconditionnel.
Mais aujourd’hui les conditions de revenu sont-elles encore adaptées à notre temps ?
« A moins de nous montrer tout à fait naïf, il faut admettre qu’à l’avenir le marché du travail ne pourra plus assurer l’intégration sociale de toute la population. Cependant en refusant l’alternative du revenu de base, nous sommes obligés de parier sur la croissance économique à n’importe quel prix. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans le monde politique de l’extrême droite à l’extrême gauche qui appelle à grand cri à la croissance économique. Ainsi, nous persistons dans une approche quantitative des problèmes et perdons toutes chances de développer de nouveau modèle d’organisation sociale d’une qualité supérieure » (Prof. Peter Ulrich Institut d’éthique économique Université St Gall SUISSE).
Aujourd’hui, pourtant, croissance économique ne rime pas forcément avec création d’emploi, ce serait même plutôt le contraire. En revanche, Il n’y a pas de croissance économique sans consommateurs avec un bon pouvoir d’achat. Autrement dit, il faut que les gens aient de l’argent en poche.
Que pense Klaus Wellershof, Directeur économique de l’une des plus grande banque du monde UBS, première en gestion de fortune, d’un revenu de base inconditionnel : « Soutenir les populations sans poser de condition, à la longue c’est un principe, qui je pense devra s’imposer. Il lui faudra tout d’abord affronter les nombreux droits et privilèges dont nous bénéficions aujourd’hui ». Mais de quels droits pourraient-ils bien s’agir ? Du droit de réserver les places de travail, peut-être ?
Tous les politiciens le réclament, mais pense-t-il vraiment travail ou plutôt recette fiscale ou bien s’agit-il de limiter le nombre de ceux qui bénéficient de l’aide sociale et pèsent sur le budget de l’état.
« Ce n’est pas la politique de l’état méchant qui est responsable de l’explosion des coûts, c’est la rançon du succès » professe Peter Ulrich Institut d’éthique économique Université St Gall. Le succès en question est celui de la rationalisation. Une rationalisation qui arrive jusqu’à notre porte (ex. robotisation des tâches pénibles).
Et comment va continuer l’histoire de ce succès ? C’est justement le sens de cette question. Elle se pose si on pense au revenu de base.
Il existe différents modèles de revenu de base, tous ces modèles se rejoignent dans la définition du réseau allemand pour le revenu de base : « Un revenu de base est un revenu accordé sans condition à tous les membres d’une communauté politique ».
Elle comprend quatre critères :
- Garantir l’existence et permettre la participation sociale,
- Constituer un droit individuel,
- Etre versé sans avoir besoin de prouver un dénuement quelconque,
- Ne pas impliquer l’obligation de travailler.
Mais ne rêvons pas, gardons les pieds sur terre, le revenu de base ne signifie pas d’avantage d’argent pour chacun. Il ne vient pas d’en haut, il ne s’ajoute pas. Il se développe à l’intérieur du revenu existant. Le revenu du travail diminue, mais le revenu total ne change pas, ce qui change c’est sa composition. Le revenu de base est un autre genre de revenu ce n’est pas un salaire minimum, ce n’est pas le paiement de quelque chose, ce n’est pas un revenu lié au travail. Chacun touche le revenu de base quoi qu’il lui arrive.
« Contrairement au communisme qui étouffe la personne et au libéralisme de marché qui cherche à l’isoler, le revenu de base lie la sécurité à une liberté maxima pour que l’individu puisse devenir maître de ses choix. Le montant de cette garantie doit suffire pour pouvoir réellement refuser une activité rémunérée dégradante » (Dr Sascha Libermann, sociologue).
La possibilité de refuser est une condition essentielle pour pouvoir négocier librement et à égalité.
Tous ceux qui sont à l’heure actuelle tributaire de l’aide sociale ne le seraient plus avec le revenu de base parce qu’il remplacerait les prestations sociales de l’état jusqu’à hauteur de son montant. Ce n’est que dans le cas de prestations sociales plus élevées que le revenu de base serait nécessaire que la différence serait conservée. Seuls ceux qui ont aujourd’hui moins que le revenu de base auraient d’avantage d’argent en poche. Il s’agit, d’abord, des enfants et des jeunes autrement dit des familles ou alors des personnes ayant une retraite insuffisante, il s’agit des travailleurs pauvres ou des indépendants qui s’appauvrissent en travaillant. Le revenu de base éradique la pauvreté et il stabilise les classes moyennes en les rassurant. Il supprime la peur des vieux jours. Ce n’est pas de l’argent que les uns donnent aux autres en leur faisant mauvaise conscience. Ce n’est pas une aide octroyée quand on est dans le besoin dont on se sent redevable mais une perspective et, pour tous.
Le revenu de base ne part pas du principe que l’homme est bon, il ne règle pas non plus tous les problèmes. Ce n’est pas une question d’argent mais il donne à chacun la possibilité de trouver soi-même d’avantage de solutions. Le revenu de base pose le fondement une société plus libre et donne de la dignité humaine. Il libère de la dépendance salariale et crée plus d’autonomie. Quel travail feriez-vous si votre revenu était assuré ?
Le grand défi du revenu de base est que chacun doit réapprendre à vivre, et là, nous en sommes au tout début. Pas pour le financement, le financement est acquis. La difficulté c’est la liberté de faire ou pas quelque chose de sa vie.
Le week-end des 30 et 31 janvier dernier, le réseau européen Universal Basic Income Europe (UBIE) et l’Association Hollandaise pour un Revenu de Base se sont réunis à Maastricht. Le temps d’un colloque sur les expérimentations de revenu de base qui semblent émerger dans de plus en plus pays d’Europe. Plusieurs membres du MFRB – Mouvement Français pour un Revenu de Base étaient présents.
Depuis que, en juillet 2015, le gouvernement finlandais a témoigné de sa volonté d’expérimenter l’idée au niveau national, le revenu de base est sous le feu des projecteurs. Depuis cette annonce, les médias se sont emparés de la question. Et de plus en plus de propositions politiques émergent, partout en Europe, en faveur de nouvelles expérimentations.
C'est donc officiel : la Finlande sera le premier pays européen à distribuer un revenu universel à l’ensemble de ses habitants. Une allocation mensuelle qui sera versée par les pouvoirs publics dès 2017 à tout résidant du pays, de manière inconditionnelle, quelque soit son âge et son revenu.
La démarche d'Helsinki n’est pas une première. Ailleurs dans le monde, certains pays ont déjà expérimenté plusieurs types de revenus de base : la Namibie, l'Alaska, et plus récemment l'Inde et le Brésil.
Le premier à l’avoir mis en place sur l’intégralité de son territoire, c'est l’Alaska. Les premiers essais du 49ème état des États-Unis remontent à 1976, avec la création de l’ « Alaska Permanent Found »", un fond souverain financé grâce aux revenus issus du pétrole. En 2014, chaque habitant de l’État nord-américain a ainsi perçu 1 884 dollars par an, soit environ 1 700 euros.
Plus concrètement, le revenu de base pourrait contribuer à remédier à la crise que traversent nos modèles économiques et sociaux. Il permettait aux salariés d'accepter des postes peu rémunérateurs, en renonçant au passage à toutes prestations sociales. Ce qui, selon ses défenseurs, contribuerait à faire baisser le chômage.
Depuis plusieurs années, l'idée fait son chemin au sein des exécutifs européens. Quelles sont les dernières avancées en Finlande, aux Pays-Bas et en Suisse ?
En Finlande, 550 euros par mois pour commencer, 800 euros ensuite
Le lancement du revenu universel finlandais est prévu début 2017. Mais le gouvernement a décidé de l’expérimenter avant cela sur un groupe limité de citoyens. Dès janvier 2016, ces derniers vont percevoir 550 euros par mois. La proposition finale sera présentée par le gouvernement en novembre 2016, après avoir analysé les résultats de l’étude et envisagé les réformes de la fiscalité et de la protection sociale à mettre en place.
À terme, l'objectif est de remplacer l’ensemble des allocations versées par l’État par un revenu de base de 800 euros. Défendue par un gouvernement de centre droit, la mise en place de cette mesure serait une première en Europe, dans un pays miné par un taux de chômage de 10 % de la population active et quatre années de récession. "La situation de la Finlande est si grave que nous avons besoin [de courage pour] expérimenter des solutions nouvelles", expliquait en 2014 le premier ministre finlandais, Juha Sipilä.
À Utrecht, 900 euros par mois pour un adulte seul et 1 300 euros pour un foyer
Aux Pays-Bas, une trentaine de municipalités vont mener, dès janvier 2016, des projets pilotes sur le revenu minimum. Tilburg, Wageningen et Groningen sont les villes les plus avancées.
Il règne également un réel enthousiasme pour la vingtaine de projets-pilotes prévus dans différentes municipalités. Ceux-ci sont actuellement en attente de validation par un gouvernement qui semble bien frileux concernant ces initiatives et retarde leur validation. Sjir Hoeijmakers, coordinateur des initiatives municipales dans le pays, demeure néanmoins confiant : « Le revenu de base est devenu si populaire aux Pays-Bas, qu’il sera difficile pour le gouvernement de s’opposer à présent à une telle mesure ».
Mais, c’est Utrecht qui joue le rôle d'éclaireur. Dans cette ville de 300 000 habitants, la quatrième du pays, 300 citoyens participeront à l’expérience.
Comment ? Avec six groupes d’au moins 50 personnes, toutes bénéficiaires du chômage ou des minima sociaux. L’un de ces groupes demeure sous le régime de sécurité sociale actuel et sert comme groupe de comparaison. Sur les cinq autres, un seul recevra un revenu de base, inconditionnel et fixe estimé à 900 euros par mois pour un adulte seul et 1 300 euros pour un foyer. Les trois autres groupes vont expérimenter des règles différentes, non définies à ce jour, tandis qu’un dernier permettra d'étudier le droit en vigueur sur la protection sociale.
"Les gens disent que les bénéficiaires ne vont pas chercher à retrouver un job, nous allons le vérifier", a expliqué la chargée de ce projet, Nienke Horst, au site américain « Quartz ». Selon elle, ils seront au contraire plus "heureux" et "finiront quand même par trouver un travail".
En Suisse, 2 300 euros par adulte et 600 euros par enfant, chaque mois
Dans le pays le plus heureux du monde, les citoyens ont créé un comité "d’initiative populaire fédérale pour un revenu de base inconditionnel". Ses principaux protagonistes, Oswald Sigg, Götz Werner, Daniel Straub et Christian Müller revendiquent depuis avril 2012 l’instauration d’un tel revenu. Selon eux, les Suisses goûteraient à une "existence [plus] digne" tout en disposant de plus de possibilités pour "[participer] à la vie publique".
Chaque adulte obtiendrait 2 500 Francs suisses (environ 2 300 euros) par mois, chaque enfant 650 (602 euros). Une allocation qui remplacerait, ici aussi, les aides sociales existantes actuellement, dans un pays où 7 % à 8 % des citoyens vivent sous le seuil de pauvreté. Le projet a récolté 125 000 signatures.
Fin septembre 2015, le Conseil national, la chambre basse de l’Assemblée fédérale suisse, a voté une recommandation contre l’initiative populaire pour un revenu de base inconditionnel. Ses principaux arguments ? Elle ne serait pas finançable et favoriserait, justement, le chômage. Des arguments contre lesquels s'élèvent 49 % des Suisses, selon un récent sondage. Ils se prononceront début 2016 lors d'un référendum.
Les Suisses auront aussi à se prononcer le 5 juin prochain. Un référendum permettra aux citoyens de décider s’ils veulent ou non instaurer un revenu de base dans leur pays.
En France, une étude de faisabilité en cours en Aquitaine
Quant à la France, le revenu de base y progresse notablement, en particulier sur le plan politique. En l’espace de deux mois, trois amendements sur le sujet ont été défendus à l’Assemblée nationale par Delphine Batho (PS) et Frédéric Lefebvre (LR). Sans oublier le projet d’expérimentation en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente soutenu par la conseillère régionale EELV, Martine Alcorta. Ces avancées récentes, très certainement encouragées par l’initiative finlandaise, place désormais la France parmi les pays les plus prometteurs pour le revenu de base.
Différents collectifs soutiennent l'idée, rassemblés au sein du Mouvement Français pour un Revenu de Base . Mais à ce jour, l'idée n'a pas retenu l'attention du gouvernement, même si certains de ses anciens membres sont pour son instauration, selon différentes modalités. Parmi eux, on compte l'ex-ministre et député Arnaud Montebourg, l'ancien ministre des Affaires étrangères et de l'intérieur Dominique de Villepin, l'ex-présidente du PCD Christine Boutin. Du côté des Verts, des personnalités comme José Bové, Eva Joly, Yves Cochet ou Daniel Cohn-Bendit défendent également l'idée.
Pour l'heure, seul Europe Écologie les Verts a inscrit le "revenu inconditionnel" dans son programme national. Ce dernier entend modifier les règles d'attribution du RSA. En juillet 2015, il est parvenu à faire voter une motion permettant le financement d'une étude de faisabilité lors de la séance plénière du Conseil régional d'Aquitaine. Selon « Rue89 », elle permettrait de tester ce revenu de base sur le “croissant de la pauvreté aquitain” allant de la Gironde à la Dordogne et au Lot-et-Garonne. Si cette initiative est une première en France, ses conditions d'attribution, le montant du revenu qui lui serait associé et sa durée n'ont pas encore été précisés.
Le revenu de base progresse donc rapidement en Europe. C’est pourquoi, l’idée étant à présent bien implantée dans plusieurs pays, le réseau européen UBIE a décidé d’agir à présent de façon plus globale sur l’Europe entière. L’objectif d’UBIE est donc désormais de privilégier l’élaboration d’une stratégie européenne commune, qui permettra une plus grande visibilité du sujet, au lieu de la limiter aux pays les plus avancés en la matière. Ainsi, UBIE entend chercher de nouveaux soutiens de la part des députés européens. Si ce travail de lobbying s’avère concluant, cela pourra permettre de financer des projets-pilotes un peu partout en Europe, et donc d’améliorer notre expérience pour l’implantation pérenne à terme du revenu de base sur l’ensemble du continent.
A savoir également qu'après l'Europe, la Silicon Valley se penche sur le revenu universel, un incubateur de start-up californien a annoncé qu'il allait verser un revenu de base à 300 citoyens américains sur une période de cinq ans. Une façon de contribuer à l'égalité des chances et de préparer la société à l'érosion du salariat. "Nous aimerions financer une expérience sur le revenu de base. Donner aux gens suffisamment d’argent pour vivre, sans condition aucune." Cette déclaration ne vient pas d’un nouveau gouvernement européen qui serait en train d’étudier la question d’un revenu inconditionnel, mais de l’un des acteurs majeurs de la Silicon Valley, en Californie.
Sam Altman est le Président d’Y Combinator, un incubateur de start-up que la revue économique américaine « Fortune » décrit comme "une frayère pour géants de la technologie émergente". Depuis 2005, sa société a lancé des entreprises aussi connues qu’Airbnb, Dropbox, ou encore Reddit. Aujourd’hui, elle veut utiliser une partie de ses bénéfices pour offrir un salaire minimum à 300 personnes, sur une période de cinq ans. "C’est « LA » chose du moment à expérimenter", explique Sam Altman au pure player américain FastCoExist, "parce que dans une ou deux décennies, des millions de jobs humains vont être remplacés par des robots et des intelligences artificielles".
Le Président est actuellement en quête d’un chercheur pour superviser ce programme d’études. Ce dernier devra aider les membres du projet à fixer un ou plusieurs montants – l’idée étant de pouvoir comparer les impacts que produiraient différents niveaux de revenu sur leurs bénéficiaires, précise Sam Altman.
Et ainsi, d’observer "ce que ce revenu minimum change à leur bonheur, leur épanouissement, mais aussi leur potentiel de gains, leur équilibre et leur capacité à créer des entreprises, de la richesse ou de l’art".
Car l'entrepreneur en est convaincu : loin d'encourager la population à sombrer dans l'oisiveté, un tel revenu de base pourrait encourager les citoyens à prendre davantage de risques : "L'une des raisons pour laquelle j'ai commencé à envisager cette solution est que beaucoup de personnes vraiment talentueuses ne se lancent pas dans l'entreprenariat parce qu'elles ne sont pas nées sous la bonne étoile", avance Sam Altman.
Pour accompagner la mise en place de son revenu de base, la start-up compte également proposer des "formations financières", dans l'objectif d'aider les bénéficiaires à dépenser et à économiser de façon plus responsable. Quant à la sélection de ces derniers, elle se fera "au hasard", avec une attention particulière pour "des personnes talentueuses, mais issues de milieux défavorisés" : "Combiné à l'innovation technologique, le revenu universel permettra de réduire les coûts nécessaires à une bonne qualité de vie et de faire de réels progrès en matière d'égalité des chances et d'élimination de la pauvreté", conclut Sam Altmann.
Un modèle dont, il en est sûr, plus personne ne doutera dans cinquante ans…