DARWIN et le DIVIN - Une histoire passionnelle depuis 150 ans
Pour ma part j’ai fait connaissance avec Darwin dans les années 1960, alors que j’étais étudiant, en classe prépa veto au Lycée du Parc à Lyon.
Pour nous faire découvrir la théorie de Darwin, notre professeur de biologie avait choisi de nous raconter l’histoire évolutive des Equidés. Je dois dire que j’avais été émerveillé par la simplicité et l’évidence du processus évolutif qu’il détaillait devant nous.
Il commençait l’histoire par l’Eohippus, qui vivait il y a 60M d’années, de la taille d’un grand chien et doté de quatre doigts à chaque membre, pour finir par l’Equus, apparu il y a 4 à 5 M d’années, mesurant lui, entre 1m25 et 1m35 au garrot et doté d’ un seul doigt à chaque membre . Et tout naturellement, il concluait, que la sélection naturelle avait permis au cheval de se spécialiser à la course, en favorisant les individus qui ne possédaient qu’un seul doigt à chaque membre.
Je dois dire que la théorie de Darwin satisfaisait pleinement mon esprit rationnel.
Diverses découvertes paléontologiques venaient accréditer la thèse. Il n’y avait pas d’affirmation sans preuve.
J’étais heureux d’avoir acquis une nouvelle connaissance scientifique qui venait compléter ma culture générale.
Mais quelle n’a pas été ma surprise, lorsque, quelques années plus tard, j’ai découvert au fil de mes lectures, que l’impact de Darwin avait très largement débordé le champ de la Biologie, pour intéresser l’histoire, la politologie, la religion, en un mot toutes les sciences humaines.
En fait, tout a commencé le 24 novembre 1859 lorsque parait à Londres l’ouvrage d’un discret notable de province, déjà quinquagénaire, Charles Darwin. Ce jour-là son livre fait l’effet d’une bombe. Les 1250 exemplaires « De l’Origine des Espèces par le moyen de la sélection naturelle » sont vendus dans la journée. Et depuis cent cinquante-cinq ans, les passions ne se sont jamais éteintes.
Mais que dit Darwin, pour provoquer une telle effervescence ? Et bien, sa théorie est révolutionnaire, parce qu’elle introduit la notion de hasard avec la sélection naturelle. De plus elle fait descendre toutes les espèces vivantes d’un seul et même ancêtre commun.
En fait, Darwin, rompt tout simplement avec le finalisme qui dominait la philosophie occidentale depuis Aristote, c'est-à-dire depuis plus de deux mille ans. Et en plus, avec Darwin, Dieu lui-même, parait inutile.
Alors, Mesdames et Messieurs, Vous comprenez aisément, pourquoi Darwin a soulevé tant de passions !
Dans une première partie je vous présenterais Darwin et son œuvre. Puis je vous emmènerais à la rencontre des opposants et des adeptes de sa théorie. J’essayerais ensuite de comprendre avec vous, comment des hommes d’inspirations philosophiques très variées, voir même opposées, ont pu élaborer, à partir d’une même hypothèse scientifique, des théories radicalement différentes. Enfin, je terminerais par une conclusion personnelle en forme de synthèse.
Charles Darwin est né le 12 février 1809. Il est le cinquième enfant d’une famille qui en comptait six. Il perd sa mère, assez jeune, à l’âge de 8 ans et est placé dans un externat religieux. Dans sa jeunesse, c’était un enfant plutôt distrait et tête en l’air. Mais, très tôt il s’intéresse aux sciences naturelles. Il recherche les minéraux, les coquillages, chasse les oiseaux. Collectionneur, il ramasse tout ce qu’il trouve.
Sur les conseils de son père, lui-même médecin, il entame en 1825 des études de médecine, qu’il abandonnera très rapidement. Il envisage alors une carrière de Pasteur qui lui permettrait de mener une vie facile, à la campagne. Pour cela, il part en 1828 étudier la théologie à Cambridge.
Mais il faut bien le reconnaitre, sa vie d’étudiant est plus occupée par des promenades dans la nature que par des travaux théologiques.
Et voilà qu’en 1831, une occasion se présente à lui, d’exercer ses talents. La marine anglaise recherche un naturaliste, sans traitement, pour accompagner un jeune capitaine, son ainé seulement de quatre ans, le capitaine Robert Fitz-Roy, qui envisage une expédition autour des cotes de l’Amérique du sud, afin de faire des relevés cartographiques.
Le « Beagle », c’est le nom du bateau, quitte Devonport le 27 décembre 1831. Au lieu de durer deux ans comme prévu, l’expédition durera presque cinq ans. Longeant la côte atlantique depuis la baie de Rio jusqu’à la Terre de Feu, le Beagle croise le cap Horn, remonte la côte pacifique et atteint les iles Galápagos le 15 septembre 1835.
Il prend ensuite la direction de Tahiti, la Nouvelle Zélande, l’Australie, passe le cap de Bonne Esperance le 31 mai 1836 et arrive à Falmouth en Angleterre le 2 octobre 1836.
Cette expédition fournit à Darwin une masse considérable d’observations et de matériaux, d’où il tirera ses considérations théoriques. Des caisses d’échantillons, accompagnées de notes détaillées, sont envoyées régulièrement en Angleterre tout au long du voyage.
Elles contribuèrent d’ailleurs à faire connaitre le jeune naturaliste et à son retour, Darwin est déjà célèbre.
En 1839, il publie « Voyage d’un naturaliste autour du monde ». L’ouvrage et ses travaux lui valent d’être élu membre de la « Royal Society ». L’impressionnante moisson d’échantillons de minéraux et d’animaux collectés tout au long du voyage, enrichit les connaissances de l’époque, dans des domaines aussi variés que la géologie, la zoologie ou l’anthropologie.
Dans le domaine de la géologie, Darwin découvre de nombreux fossiles d’espèces disparues et il est convaincu que leur extinction, n’est pas due à un cataclysme.
Dans le domaine de la zoologie, Darwin observe les pinsons des iles Galápagos, les seuls oiseaux vivant dans cette contrée. Ces oiseaux sont à peu près tous de la même taille, entre 10 et 20 cm, mais leurs caractéristiques au niveau du bec sont différentes d’une ile à l’autre. Darwin émet alors l’hypothèse, que c’est finalement l’isolement géographique et le régime alimentaire qui ont conduit à la formation d’espèces distinctes, à partir d’un ancêtre commun.
Dans le domaine de l’anthropologie, un évènement, la rencontre de peuplades de la Terre de Feu, fut déterminant pour Darwin.
Trois habitants de cette contrée, recueillis lors d’un précèdent voyage, étaient à bord du Beagle.
Ils avaient passés quelques années en Angleterre, avaient même été baptisés, et revenaient dans leur pays, en principe comme missionnaires.
Un an après leur débarquement, le Beagle revint faire escale en Terre de Feu. De toute évidence, l’empreinte civilisatrice n’avait, pas été très résistante. Les trois Fuégiens avaient abandonné leur mission et un seul fut retrouvé. Il expliqua qu’il était très heureux d’avoir regagné sa terre natale et qu’il n’avait aucune envie de retourner en Angleterre. Darwin, qui n’avait jamais rencontré ces peuples dits « sauvages » dans leur milieu naturel, découvrit à cette occasion, la grande différence dans le développement des groupes humains, la grande différence entre ces « primitifs » et l’anglais « civilisé ». Il lui apparut alors, que finalement, l’humain n’était pas si éloigné de l’animal et que la différence était plus d’ordre culturel que naturel.
De retour en Angleterre, après avoir mis en forme les matériaux qu’il avait rapportés de l’expédition du Beagle, Darwin prit conscience, du bienfondé d’une vision évolutive du vivant.
D’ailleurs, le petit fils d’Erasmus ne pouvait ignorer les idées évolutionnistes de son grand père. Médecin libre penseur, admirateur du français Lamarck, Erasmus Darwin, est l’auteur de « Zoonomie », une théorie de la formation graduelle et du perfectionnement du règne animal.
Mais Darwin hésite encore et toujours à publier ses travaux. Vingt ans après son retour d’expédition, il n’en a toujours pas terminé la rédaction. Il fallut la parution d’un mémoire d’Alfred Russel Wallace en juin 1858, qui reprenait en partie sa théorie de la sélection naturelle, pour que Darwin se décide, enfin, à publier son œuvre majeure. Le 24 Novembre 1859 paraissait donc à Londres « L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie. ».
L’hypothèse, développée dans son livre, solidement argumentée par ses observations, est simple : les organismes individuels produisent des descendants qui leur ressemblent (c’est l’hérédité), mais avec de petites variations. Ces variations peuvent être favorables ou défavorables aux descendants en fonction du milieu.
Et c’est le milieu naturel qui sélectionne les plus aptes à survivre.
Mais cela suppose aussi que le milieu exerce une certaine pression sur les individus car il ne peut pas tous les nourrir.
Darwin avait été très impressionné par la théorie du sociologue Malthus, et il écrit : « Comme il nait plus d’individus qu’il n’en peut vivre, il doit y avoir, dans chaque cas, lutte pour l’existence, soit avec un autre individu de la même espèce, soit avec des individus d’espèces différentes, soit avec les conditions physiques de la vie. ».
Il y a donc une « lutte pour la vie (struggle for life) » dont l’idée, reconnait Darwin « provoque de tristes réflexions ». Mais Darwin conserve l’espoir que cette lutte ne sera pas vaine : Il écrit « la guerre n’est pas incessante dans la nature…la peur y est inconnue…la mort est généralement prompte, et … ce sont les plus vigoureux, sains et heureux qui survivent et se multiplient. » Ainsi la nature « sélectionne » les individus les mieux adaptés, qui sont assurés d’avoir une plus grande descendance. Ne survivent à terme que les variantes qui présentent des caractères susceptibles de résister aux conditions du milieu et aux prédateurs.
Pour Darwin, les variations entre générations sont de faible ampleur, « graduelles ». Un principe fondamental à ses yeux est que « la nature ne fait pas de sauts brusques. Elle ne peut avancer que par degrés insignifiants, lents et surs ».
Mais, avec le temps, lorsque les différences deviennent telles que les individus ne peuvent plus se croiser entre eux, ces variations peuvent donner naissance à de nouvelles espèces.
Pour résumer, le modèle darwinien se décline selon trois composantes :
- 1 - Toutes les formes de vie, après modification, descendent d’un ancêtre commun
- 2 - Existence de variations aléatoires sélectionnées par la nature
- 3 - Nécessité d’un temps très long pour accomplir la sélection.
A ces trois composantes Darwin en a rajouté deux autres un peu plus tard :
- La sélection sexuelle (la femelle, ou parfois le male, choisit le partenaire le plus fort ou le plus séduisant).
- La sélection de groupe (certains individus peuvent se sacrifier au profit de la survie du groupe).
Alors, tout naturellement, vient à l’esprit cette question. Pourquoi ne pas appliquer ce modèle à l’émergence de l’espèce humaine ? Il était évident que l’Humanité appartenait au règne animal. La proximité de l’homme avec les grands singes avait d’ailleurs été relevée depuis déjà longtemps. Linné lui-même, s’en était fait l’écho.
Mais Darwin hésite toujours à franchir le pas.
Il est conscient des réactions que cela ne manquera pas de provoquer. Va-t-on en déduire que l’homme descend du singe ? N’est-ce pas la fin de la morale ?
Pourtant, douze ans après l’Origine des Espèces Darwin publie le 24 février 1871 un ouvrage encore plus volumineux que le précédent : « La filiation de l’homme (the descent of Man) ».
A l’époque on ne possédait quasiment pas de fossiles humains préhistoriques. La première véritable découverte date de 1857, soit deux ans avant la parution de l’Origine des espèces. Cette découverte, c’est celle d’un squelette humain dans la vallée allemande de Néander, squelette que l’on appela tout naturellement : l’homme de Neandertal. Puis en 1868 ce fut l’Homme de Cro-Magnon et en 1891 le pithécanthrope de Java, considéré à l’époque comme le chainon manquant entre le singe et l’homme. Puis la fréquence des découvertes s’accélère à partir des années 1920 : sinanthrope en Chine, l’australopithèque en Afrique, etc., etc...
Bien que ne connaissant pas toutes ces découvertes, Darwin dans sa « Filiation de l’Homme », propose une vision progressive de l’humanité. Pour lui le passage de l’animalité à l’humanité est une lente croissance à travers des étapes successives.
Mesdames et Messieurs, Darwin venait d’ouvrir la boite de Pandore de tous les bouleversements possibles. Toutes les passions allaient pouvoir s’exacerber.
Comme on pouvait s’y attendre, la première à se sentir mal à l’aise, fut L’Eglise. Il est vrai que le modèle darwinien remet en cause, sinon des dogmes, tout au moins certaines représentations habituelles du christianisme.
La première concerne la chronologie biblique. La longue durée nécessaire au processus évolutif s’oppose bien évidemment à la brièveté de la création selon la Genèse. Le schéma darwinien suppose un temps beaucoup plus long que 4000 ans avant la naissance du Christ.
Cette lecture littérale de la bible alimente d’ailleurs aujourd’hui la controverse avec les créationnistes, dont nous reparlerons tout à l’heure. Pourtant les premiers éléments d’une lecture critique de la bible ne datent pas d’aujourd’hui, puisque au XVIIe siècle, Galilée, reprenant Saint Augustin, avançait comme argument pour sa défense, lors de son fameux procès, que les textes de l’Ecriture sont « accommodés » aux lecteurs du temps. S’ils parlent de fixité de la terre, c’est que cela correspondait à la cosmologie de l’époque.
Le deuxième problème posé par Darwin à l’Eglise est le rôle de Dieu dans la Création. Jusque-là, plus les naturalistes découvraient des mondes nouveaux et des espèces nouvelles, plus ils pouvaient s’émerveiller devant l’ordre harmonieux de la nature, dont l’origine ne pouvait être que « surnaturelle ».
Or Darwin prétend fournir une explication à cette adaptation qui ne fait appel à aucune instance extérieure à la nature. Dieu n’aurait plus aucun rôle dans la marche du monde. Le Darwinisme devient, pour certains, la meilleure démonstration de la non existence de Dieu.
Enfin troisième problème pour l’Eglise, le rôle mis en avant par Darwin, du hasard. Il met en cause la notion même de Providence et l’intervention d’un hasard fondamental semble ramener le chaos au premier plan.
Différentes instances religieuses (le Concile allemand en 1860, la commission biblique pontificale en 1909) ont bien entendu dénoncé cette remise en cause de la nature humaine par l’œuvre darwinienne. Mais il faut bien le reconnaitre, il n’y a eu pratiquement pas de réaction officielle. « L’origine des espèces » de Charles Darwin n’a pas été mise à l’index comme l’avait été l’œuvre d’Erasmus Darwin son grand-père.
Il faut attendre 1950 et l’encyclique « Humani generis », du très conservateur Pie XII, pour avoir une expression officielle. Le Pape déclare que « le magistère de l’église n’interdit pas que la doctrine de l’évolution, dans la mesure où elle recherche l’origine du corps humain à partir d’une matière déjà existante et vivante, soit l’objet, dans l’état actuel des sciences et de la théologie, d’enquêtes et de débats entre savants de l’un et de l’autre parti. »
C’est un grand tournant. Cette encyclique ne prend certes pas parti pour la théorie de l’évolution et apporte de nombreuses restrictions. Mais elle ouvre la porte aux recherches. C’est un feu orange pour les scientifiques et les clercs.
Il faut ensuite attendre Jean-Paul II, pour avoir des prises de position plus positives. En 1996, devant l’Académie des Sciences, celui-ci déclare : « aujourd’hui, après la parution de l’encyclique, de nouvelles connaissances conduisent à reconnaitre dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse. Il est en effet remarquable que cette théorie se soit progressivement imposée à l’esprit des chercheurs, à la suite d’une série de découvertes faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement recherchée ou programmée, des résultats de travaux menés indépendamment les uns des autres, constituent par elle-même un argument significatif en faveur de cette théorie. » Il rappelle toutefois, que la science reste limitée dans son propos, quand il s’agit de l’homme.
Benoit XVI est resté sur la même ligne.
Tel est aujourd’hui la position officielle de l’Eglise catholique.
Mais, je ne peux pas terminer ce chapitre sur les relations entre l’Eglise catholique et Darwin, sans parler de Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955). Il est connu, en effet, comme celui qui a réconcilié la science et la religion, le christianisme et l’évolution. Tout au long de sa vie, ce jésuite a tenté d’effectuer une véritable synthèse entre une vision chrétienne et une vision évolutive du monde vivant.
Certes, comme on le verra un peu plus loin, Teilhard a rencontré des oppositions y compris au sein de l’église catholique.
Teilhard, dès son enfance, s’intéresse à l’histoire naturelle et plus particulièrement aux minéraux. Il est profondément croyant. Dans son autobiographie écrite en 1950 « le cœur de la matière » il note un « retournement », qui s’opère en lui, lorsqu’il prend conscience que la vraie consistance, n’est pas dans la dureté du métal mais dans l’évolution du vivant.
Entré dans la Compagnie de Jésus, ses supérieurs l’encouragent à s’orienter vers la paléontologie. Le père Teilhard entre donc au Museum d’histoire naturelle en 1911. La guerre malheureusement interrompt ses recherches, mais après la démobilisation, il soutient sa thèse en 1922.
C’est à cette époque qu’a lieu un incident qui eut de grandes conséquences sur la suite de ses travaux. Une note personnelle sur « le péché originel » rédigée en 1921 et destinée à l’un de ses confrères jésuites, a le malheur (on ne sait pas par quel canal) de parvenir sur un bureau romain. Il faut dire que cette note n’était pas tout à fait anodine. Teilhard ne faisait pas moins que de mettre en doute l’existence du pêché d’Adam.
En novembre 1924, Teilhard est convoqué par son supérieur provincial qui lui demande de ne plus s’exprimer sur des sujets théologiques et lui annonce son départ pour la Chine.
La Chine a été pour lui un formidable terrain d’expérimentation. En particulier, il participe, à la découverte du sinanthrope, le fameux homme préhistorique de Pékin. La période chinoise dure jusqu'à la fin de l’occupation japonaise. Mais à son retour en France, certains censeurs perçoivent chez Teilhard, l’ombre « d’une nouvelle théologie ». Il semble une fois encore préférable de l’éloigner de Paris et c’est New-York qui l’accueille jusqu’à sa mort le 10 mai 1955.
Rapidement, quelle est la thèse de Teilhard ? Pour lui l’évolution doit avoir un sens. Le monde commence dans la matière. La matière, animée par Dieu, tend à se complexifier toujours davantage.
Cette complexité s’accompagne d’une plus grande « centration » c'est-à-dire qu’elle s’accompagne d’une plus grande « conscience » pour les organismes très complexes comme l’organisme humain. Pour Teilhard la logique de l’évolution est une logique d’unification et non de dispersion. Le processus d’unification se poursuit au-delà de l’émergence de l’homme, au-delà de l’accès à la pensée, vers l’émergence de la « noosphère », ou l’homme rejoindra Dieu en un « point Oméga ».
Rassurez- vous, Mesdames et Messieurs, j’arrête là mon exégèse. Tout d’abord parce que je ne suis pas un spécialiste de Teilhard de Chardin, et ensuite parce que ce n’est, bien sûr, pas le sujet de ce soir. Disons en conclusion, que Teilhard a su séduire certains esprits par sa position originale, mais il en a aussi beaucoup déroutés.
Si aujourd’hui, l’Eglise catholique officielle s’accommode de la théorie de l’évolution, si les chrétiens sincères peuvent l’accepter non seulement comme une possibilité mais aussi comme un fait établi, il n’en va pas de même pour certaines communautés religieuses fondamentalistes.
Leur rejet du Darwinisme a donné naissance à un phénomène, au départ typiquement américain, que l’on appelle le « Créationnisme ».
Les premiers mouvements apparaissent en effet, dans les années 1920, dans le sud des Etats Unis, rural et pauvre, sur fond de guerre mondiale et de révolution bolchevique. En fait, ce « créationnisme » de la première heure est issu du puritanisme religieux des Pères fondateurs de l’Amérique, fuyant une Angleterre qu’ils jugeaient décadente.
Il faut dire aussi que le contexte typiquement nord-américain d’une multitude d’églises protestantes, a favorisé l’émergence d’un nombre impressionnant de sectes, couvrant toutes les formes imaginables de cultes et de croyances.
Et c’est en leur sein que sont apparus « Les Créationnistes ». Ceux-ci refusent tout modernisme et professent la Genèse comme la seule vérité sur la création du monde. Pour ces fondamentalistes protestants, la Terre à 6000 ans, comme il est écrit dans la bible, le déluge a bien eu lieu, Dieu a créé les espèces vivantes en six jours et dans leurs formes actuelles, et l’homme en couronnement de la nature.
Suite à ce développement des thèses créationnistes, à partir de 1921, certains Etats américains ont été conduits à promouvoir des lois pour interdire l’enseignement de l’évolution, dans les écoles.
Un célèbre procès a eu lieu en 1925 à Dayton dans le Tennessee, que l’on a appelé le premier « procès du singe ».
Un jeune instituteur, John Scopes, est accusé d’avoir enseigné, en bravant la loi en vigueur, la théorie de l’évolution dans son école. Il est soutenu par les courants libéraux et en face c’est l’avocat William Bryan qui défend les valeurs traditionnelles. Voici un extrait de sa défense: « Celui qui conçoit la thèse évolutionniste donne à l’étudiant une famille vieille de trois millions d’années et le laisse ensuite aller à la dérive, avec une capacité infinie à faire le bien et le mal sans aucune lumière pour le guider, sans compas pour lui indiquer la route, sans carte sur l’océan de la vie. »
Finalement, Scopes perd son procès et est condamné à verser une amende de cent dollars. Mais l’affaire est médiatisée. La campagne fondamentaliste porte malgré tout ses fruits : les éditeurs d’ouvrages scolaires préfèrent éviter toute référence à Darwin pour pouvoir vendre leurs livres.
Apres quelques années de calme, aux USA, les passions s’échauffent à nouveau après la seconde guerre mondiale. Le lancement du premier Spoutnik, fait réaliser aux américains, leur retard scientifique. Ils comprennent alors que le développement de la Biologie passe par un enseignement de la théorie de l’évolution.
Les lois antiévolutionnistes sont rapportées et finissent par être déclarées anticonstitutionnelles.
C’est dans ce contexte que Henry Morris (1918-2006) lance en 1963 le « créationnisme scientifique ». Ces nouveaux créationnistes s’emploient à démontrer que la théorie darwinienne n’a pas le statut de rigueur scientifique qu’elle prétend avoir.
Puis dans les années 1970, avec le contexte troublé de la guerre du Vietnam, on assiste à un retour du fondamentalisme. Plusieurs Présidents républicains militent en faveur d’un traitement équilibré entre la théorie de l’évolution et la doctrine de la création. Ronald Reagan, candidat à la maison blanche, déclare en 1981 : « L’évolutionnisme est seulement une théorie scientifique, une théorie que la communauté scientifique ne croit plus aussi infaillible qu’on l’a cru autrefois. En tout cas, si l’on se décide à l’enseigner dans les écoles, je pense qu’on devrait aussi enseigner le récit biblique de la création. »
Suite à cette offensive, une douzaine d’Etats américains adoptent des lois, prévoyant un « traitement équilibré » des théories, concernant l’origine des êtres vivants.
C’est alors qu’à lieu le deuxième « procès du singe », à Little Rock dans l’Arkansas, en 1981. Et l’on découvre, que loin d’avoir disparu, le créationnisme avait poursuivi son œuvre pendant plus d’un demi-siècle. Loin d’être resté confiné dans le sud agricole traditionnaliste, il avait conquis les Etats du nord les plus modernes.
Ce procès, très médiatisé, donna lieu à un grand débat public au cours duquel les grandes Eglises chrétiennes et le Congre juif se démarquèrent des options créationnistes.
Comme en son temps Ronald Reagan, Georges W Bush, en 1999, propose, s’il est élu, que l’on enseigne désormais le récit de la Genèse en même temps que la théorie de l’évolution. Ceci afin, disait-il, que l’éducation dans les écoles publiques ait un fondement moral.
Sous ses deux premières formes, le créationnisme est aujourd’hui en voie de régression. Mais une nouvelle théorie est apparue, plus subtile, sans référence explicitement religieuse : « l’Intelligent Design » que l’on peut traduire par « Dessein Intelligent ». Ses principaux auteurs en sont le juriste Phillip Johnson (né en 1941), le biologiste Michael Behe (né en 1952) et le mathématicien William Dembski (né en 1960).
La thèse centrale de ce mouvement est que la succession des évènements qui débouchent sur la vie et sur l’émergence de l’intelligence, ne peut être attribué au hasard. Les simples lois naturelles n’ont pas pu produire « l’information complexe » qui caractérise les formes vivantes. L’explication par des processus physico-chimiques ne suffit pas non plus. Il faut un autre ordre d’interprétation. « Pour expliquer la vie, il est nécessaire de supposer l’action d’une intelligence qui n’a pas évoluée ».
L’un des arguments centraux de cette théorie, est la complexité « irréductible ». Par exemple, l’œil est un système trop subtil pour résulter des seules forces de la nature et ne peut être le fruit du hasard.
A première vue, cette théorie peut paraitre séduisante. Mais il faut raison garder. Que la biologie n’explique pas tout dans l’état actuel des connaissances est une évidence. Mais qu’elle ne puisse jamais expliquer la constitution évolutive de l’œil est un pari qu’aucun biologiste ne voudrait prendre. Nombre de phénomènes inexpliqués à une époque ont trouvé ultérieurement un éclaircissement. Les arguments du « dessein intelligent » ne sont pas sans rappeler la démarche créationniste. On retrouve en effet la même crainte que l’univers soit une grande machine sans but, sans finalité.
En France, les courants créationnistes ont toujours été extrêmement marginaux. Mais subrepticement le monde musulman vient de s’inviter.
Bon nombre de professeurs signale la difficulté qu’ils ont depuis quelques années, à enseigner la théorie de l’évolution aux jeunes musulmans. En janvier 2007, un ouvrage de 800 pages intitulé « l’Atlas de la Création » richement illustré et réfutant les thèses de Darwin au nom de l’islam, est distribué gratuitement, par milliers, dans nos écoles et nos institutions. L’auteur démontre que l’évolution est un mythe. La démonstration se base sur une masse de photographies de « fossiles », censées montrer qu’il n’y a aucune évolution des espèces. En conclusion, il accuse le darwinisme de tous les maux de nos sociétés occidentales : racisme, fascisme, communisme, athéisme, jusqu’aux attentats du 11 septembre !
Le mystérieux expéditeur est un certain Harum Yahya. Derrière ce pseudonyme, se cache en fait le prédicateur turc Adnan Oktar, fondateur de la « Fondation pour la Recherche et la Science ». Cette fondation travaille activement à la suppression de toute idée d’évolution dans l’enseignement turc. Il faut aussi savoir, que ce mouvement antiévolutionniste, le plus virulent du monde musulman, est très actif sur internet et les réseaux sociaux.
A l’opposé de la sphère religieuse, le Darwinisme a séduit tous ceux qui ont compris que l’on pouvait appliquer le modèle, aussi bien aux systèmes physiques qu’aux systèmes sociaux. En effet la théorie de la sélection naturelle permet aussi d’expliquer de nombreux aspects du développement culturel et intellectuel de l’humanité.
Curieuse coïncidence, l’année de parution de « l’Origine des espèces » (1859), Karl Marx publie « Contribution à la critique de l’économie politique », une première étude qui annonce son œuvre principale « le Capital ».
C’est Engels qui perçut le premier dans « l’Origine des espèces » la démonstration « qu’il y a bien un développement historique dans la nature ». Il signala l’ouvrage à Marx. Au terme d’une première lecture Marx et Engels s’enthousiasmèrent de ce que Darwin, avec sa théorie de l’évolution, justifie scientifiquement leur opposition à la religion. Darwin est sensationnel parce qu’il « démoli » la théologie, parce qu’il lui porte un « coup mortel ».
La réfutation darwinienne du religieux enchanta si bien Marx et Engels que l’on peut relever, selon Régis Ladous, entre la fin 1859 et le début 1861, l’esquisse de ce qui aurait pu être un Darwino-marxisme, une sorte de matérialisme dialectique sociobiologique.
En décembre 1860, Marx écrit à Engels qu’il croit reconnaitre dans « l’origine des espèces » : « le fondement historico-naturel de notre position ». Et il persiste un mois plus tard en écrivant « le livre de Darwin est très important et me convient comme base de la lutte historique des classes ». Mais dans le tome premier du capital en 1867, il n’y a plus aucune trace d’un quelconque rapprochement entre la lutte des classes et la lutte pour la vie, le mouvement dialectique et l’évolution selon Darwin.
En 1873 Marx envoie à Darwin un exemplaire du « Capital ». Dans une lettre datée du premier octobre de la même année, Darwin remercie Marx pour son intention. Il y affirme aussi « ne guère comprendre l’économie politique et constate que ses études ont été «différentes ». Il termine sa lettre par une profession de foi scientiste : « je crois, écrit Darwin, que nous désirons tous les deux sérieusement l’extension de la connaissance, et que cela, à la longue, ajoutera surement au bonheur de l’humanité ». La dessus Darwin coupa 105 des 822 pages du Capital et rangea définitivement l’ouvrage dans sa bibliothèque.
Il refusa à Marx, le 13 octobre 1880, la dédicace d’un ouvrage à paraitre.
Décidemment, le rendez-vous de Marx avec Darwin fut, comme le dit Patrick Tort, « un rendez-vous manqué ».
En France, des marxistes comme Paul Lafargue et Jules Guesde défendront la théorie darwinienne pour les mêmes raisons idéologiques que Marx, c'est-à-dire en tant qu’elle s’oppose à la religion. Pour eux, Darwin et Marx ont une même conception matérialiste de l’évolution.
Dans l’URSS des années 1930 - 1950, sur fond de marxisme stalinien, un certain Lyssenko, a recours lui aussi au Darwinisme, pour assoir sa doctrine pseudo-scientifique, doctrine qui remettait en cause, excusez du peu, la théorie de l’hérédité.
Il faut savoir, que depuis la disparition de Darwin en 1882, la biologie avait fait un bon considérable. Le moine autrichien Mendel avec ses travaux sur les hybrides ( je précise au passage que Mendel était le contemporain de Darwin , mais que ses recherches sont passées totalement inaperçues à cette époque et qu’elles ont été redécouvertes en fait trente ans plus tard), le moine Mendel donc, l’allemand Weismann avec sa démonstration de la non transmission héréditaire des caractères acquis, et l’américain Morgan avec ses expériences sur les mutations de la mouche drosophile, avaient contribué à l’avènement d’une nouvelle discipline en biologie : la génétique.
Mais dans l’URSS de Staline, les généticiens « bourgeois » sont présentés comme des « saboteurs, des incapables ou des ennemis du prolétariat… ».
C’est alors, qu’intervient un chercheur en biologie- agronomie de l’académie Lénine des Sciences, le fameux Lyssenko. Celui-ci se réclame des bases matérialistes du darwinisme pour mieux rejeter la nouvelle théorie de l’hérédité. Pour preuve il met en avant l’ignorance avouée de Darwin dans ce domaine, en citant un de ses écrits : « Nous ne pouvons prétendre expliquer ni les causes, ni la nature de la variabilité chez les êtres organiques ». Et pour cause, Darwin est mort avant l’avènement de la génétique.
La mauvaise foi est évidente. Mais elle permet à Lyssenko de réfuter les travaux de Weismann, et d’affirmer la transmissibilité des caractères acquis. De même, Lyssenko rejette la génétique mendélienne et prétend à l’existence possible, en lieu et place des chromosomes, d’un « organe de l’hérédité » !
En fait, encouragé et soutenu par Staline, le lyssenkisme est à but essentiellement, sinon uniquement, idéologique. Il est présenté par ses partisans comme l’exemple réalisé d’une « science prolétarienne » en opposition avec la « science bourgeoise ». Le Lyssenkisme est en cohérence avec l’idéologie communiste qui a une vision manichéenne du monde.
En France, en 1948, le poète stalinien Louis Aragon, s’improvise biologiste, en consacrant un numéro de sa revue « Europe » à la promotion des thèses lyssenkistes. Le titre de son article est éloquent : « Un grand évènement scientifique : l’hérédité n’est pas commandée par de mystérieux facteurs … ». Il faudra attendre 1958 pour que Jean Rostand, compagnon de route du PCF, commence à faire part de ses doutes.
En URSS c’est seulement en 1965, avec la chute de Khrouchtchev, que la génétique réintègre la recherche scientifique.
Pauvre Darwin. Il s’est trouvé mêlé bien malgré lui, à une scandaleuse affaire, dont le but évident, était de promouvoir une science pour ses vertus politiques et non pour sa véracité scientifique. En cela, le « lyssenkisme » peut être rapproché du « créationnisme » et faire figure de pendant politico- marxiste à la réaction religieuse fondamentaliste.
Vous l’avez compris Mesdames et Messieurs, l’attrait des politiques pour la théorie de Darwin provient essentiellement de son extension possible aux systèmes sociaux. Il est d’ailleurs fascinant de voir comme on peut être darwinien de droite comme de gauche. Ainsi à l’opposé du marxisme, Darwin a aussi fortement inspiré le Libéralisme de son époque.
Une illustration en est le « Darwinisme social » de Herbert Spencer (1820-1903) dont le développement rapide, a du même coup, fortement contaminé l’interprétation du darwinisme.
Penseur indépendant, Spencer, exerce différents métiers. Il travaille quelques temps pour la revue « The Economist », avant d’obtenir suffisamment de revenus pour ne plus dépendre d’un employeur.
A ses yeux, l’idée d’évolution est une idée globale, qui s’applique aussi bien aux espèces animales qu’aux sociétés. La lecture de l’ouvrage de Darwin fait découvrir à Spencer, la sélection naturelle. Dans son livre « Principes de biologie » (1864), il forge l’expression « survie du plus apte », reprise ultérieurement par Darwin. Son originalité est d’appliquer la sélection naturelle aux sociétés humaines, ce que Darwin s’était bien gardé de faire.
Spencer en tire un principe « libéral » de prééminence de l’individu, véritable entité sociale. L’individu prime sur le collectif. Dans la société, il ne peut s’accomplir que par lui-même, en restreignant au maximum toute influence de l’Etat. Le rôle de l’Etat doit se borner à protéger l’individu des agressions extérieures. Il faut donc donner toutes leurs chances « aux plus aptes » ou « aux plus adaptés ».
Mais que faire des « inadaptés » ? La réponse de Spencer est claire et cinglante : « Tout l’effort de la nature est de s’en débarrasser, d’en dégager le monde et de faire place aux meilleurs ». Les lois sociales qui protègent les « inaptes » sont donc nuisibles au progrès social. « L’idée d’agir pour éviter les souffrances humaines va contre les lois de la nature : la misère actuelle des pauvres est le résultat actuel de leur mauvaise conduite ». No comment.
Malgré tout, les idées de Spencer sont globalement bien accueillies par une opinion anglaise qui aspire à sortir de l’ordre ancien, dominé par les traditions aristocratiques et religieuses. Quant à Darwin il n’épouse pas pour autant toutes les idées de Spencer. Son ami, Thomas Huxley, surnommé le « bouledogue de Darwin », vient à son secours et critique vigoureusement la philosophie de Spencer.
Pour lui les règles de la nature ne peuvent pas être transposées aux sociétés humaines. Les normes éthiques ne doivent pas dériver de l’évolution.
Une autre figure célèbre peut être mise en parallèle avec Spencer. Celle de Francis Galton (1822-1911). Cousin de Darwin, explorateur, météorologue il devient criminologue (c’est lui qui introduit les empreintes digitales comme reconnaissance des individus).
Ayant découvert l’œuvre de Spencer, il cherche à l’exploiter concrètement et devient l’inventeur de l’eugénisme. Il s’agit de favoriser les plus aptes, ceux qui sont « bien nés » (eugenês, en grec, d’où l’invention du mot eugenic). Ceux qui ont les meilleurs caractéristiques, santé, intelligence, capacité de travail, doivent être encouragés à faire davantage d’enfants. C’est ce que l’on appelle « l’eugénisme positif ».
Galton se réfère explicitement au travail des éleveurs. Ceux-ci cherchent en effet, à améliorer les races animales, à partir de critères qu’ils ont fixés eux-mêmes (rendement en lait ou en viande par exemple). La même technique peut et même doit être transposée dans les sociétés humaines.
La morale judéo-chrétienne ayant une fâcheuse tendance à protéger les faibles, il y a un risque grandissant à voir apparaitre une dégénérescence de la race.
Pour Galton, les critères de sélection sont ceux du milieu. La référence est l’homme occidental (en particulier britannique, of course) en tant qu’il est actif et entreprenant. A cela s’opposent des formes de décadence interne (alcoolisme, tares physiques ou mentales) ou externe (les races « inférieures ») qu’il faut combattre. L’eugénisme positif glisse insensiblement vers un eugénisme négatif : éliminer les plus faibles ou ceux qui sont différends.
Galton, comme beaucoup de ses contemporains, craint surtout que l’espèce humaine dégénère du fait des progrès de l’hygiène et de la médecine. La sélection naturelle ne pourra plus jouer son rôle. Les organismes faibles auront plus de chance de survivre et transmettront ainsi leurs gènes défectueux à leurs descendants.
Galton exercera une forte influence sur une partie de la société américaine du XXe siècle. De plus ses idées se trouveront fortement renforcées par l’apparition de cette science nouvelle : la génétique. C’est ainsi qu’aux Etats Unis, le « Cold Spring Harbor Laboratory » de Long Island propose de 1910 à 1940 un programme de stérilisation des inaptes, essentiellement mentaux. Divers Etats adoptent des lois dans ce sens. Ces considérations génétiques justifient aussi l’interdit qui frappe les mariages interraciaux.
Bien entendu, Mesdames et Messieurs, notre propos sur l’eugénisme, ne peut nous éviter de rappeler l’usage qui en a été fait dans l’Allemagne nazie. Hitler était un lecteur assidu de Spencer. Les conséquences sont malheureusement trop connues pour qu’il soit nécessaire d’en reparler, ici.
Toutefois, si l’on en croit Patrick Tort, il n’est pas question de mettre toutes ces pratiques sur le compte d’une quelconque « ambiguïté » du darwinisme. Pour le Président de l’Institut Charles Darwin International, « la sélection naturelle sélectionne la civilisation qui s’oppose à la sélection naturelle. ».
Pour expliquer cette affirmation, pour le moins paradoxale, Patrick Tord avance, qu’il faut toujours avoir présent à l’esprit que, pour Darwin, la sélection naturelle sélectionne non seulement des variations organiques, présentant un avantage adaptatif, mais aussi des instincts.
Parmi ces instincts avantageux, « les instincts sociaux » ont été tout particulièrement retenus et développés, comme le prouve le triomphe universel des peuples dits « civilisés ». Pour preuve, Patrick Tord avance que, dans son livre « la Filiation de l’Homme » Darwin, affirme clairement que grâce à la civilisation, l’élimination des moins aptes a été remplacée par le devoir d’assistance ; l’extinction naturelles des malades et des infirmes a été stoppée par l’apparition des technologies et des savoirs (hygiène, médecine, etc…).
Ainsi par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans saut ni rupture, a sélectionné une éthique de la protection des faibles, traduite en une règle de conduite que l’on appelle tout simplement : la morale.
Pour expliquer le développement de cette éthique évolutionniste, d’aucun pourront y voir l’influence positive de la morale religieuse. A l’inverse, Patrick Tort, lui, y voit la base d’une « théorie matérialiste de la morale », permettant de soustraire l’éthique, à l’emprise dogmatique des morales religieuses.
Des contemporains de Darwin aux plus actuels de nos sociobiologistes , la liste est longue, de ceux qui se sont enferrés, en général avec de très bonnes intentions envers le genre humain, dans la logique de l’amélioration de l’espèce humaine, sur les fondements de la logique biologique.
Citons pêle mêle, l’anthropologue français Georges Vacher de Lapouge (1854-1936) militant socialiste , membre de la SFIO, Alexis Carrel (chirurgien français, Prix Nobel de médecine en 1912) auteur du célèbre ouvrage « l’homme cet inconnu » (1935), Charles Richet (Physiologiste marxiste britannique), Julian Huxley (biologiste britannique, membre fondateur de L’UNESCO et du WWF), et les découvreurs de la structure de l’ADN, Watson et Crick, tous penseurs se réclamant de l’évolutionnisme et dont les œuvres ont eu un immense succès, malgré des projets politiques eugénistes affichés.
Aujourd’hui gardiens du patrimoine génétique, les évolutionnistes ont trouvé, dans le développement des biotechnologies, une nouvelle voie : celle de modifier directement la nature humaine. Insidieusement l’eugénisme est de retour.
En France, aujourd’hui, seules certaines maladies particulièrement graves et mettant le diagnostic vital en jeu, peuvent justifier d’un diagnostic préimplantatoire (DPI). C’est le cas des trisomies 21 et 18 dont le dépistage gratuit concerne désormais la quasi-totalité des grossesses.
Mais demain, il n’est pas exclu que la présence d’un gène que l’on aura découvert, prédisposant par exemple à l’homosexualité ou à l’obésité, ne soit pas considéré comme rédhibitoire pour l’enfant à venir, dans une société où les parents souhaitent de plus en plus « choisir » leur enfant. On en arrive à un « eugénisme de précaution » qui, en France, pourrait être insidieusement favorisé par le « Principe de précaution », désormais inscrit dans la Constitution.
Mesdames, Messieurs, nous voici arrivés à la dernière partie de notre exposé, celle où nous allons essayer de répondre à cette question :
Comment des hommes, s’inspirant de la raison et du progrès, ont-ils pu, à partir de la même thèse darwinienne, élaborer des théories aussi radicalement différentes ?
Comment des hommes aux idées aussi opposés, que Marx et Spencer, Engels et Galton ont-ils pu, les uns et les autres, trouver leur caution scientifique chez Darwin ?
En premier lieu, et c’est une évidence, la théorie de l’évolution de Darwin a un caractère d’universalité. Elle peut en effet s’appliquer aussi bien à la Nature qu’au développement social de l’Humanité.
Ensuite, même si c’est une science extrêmement technique, la Biologie pose des questions centrales pour la vie humaine : qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que l’humain, si ce n’est pas simplement de « l’animal » ? Le processus de la vie a-t-il un sens ou doit-il tout au hasard ? Ces questions philosophiques, débordent largement la compétence du biologiste, mais il ne peut les ignorer. Et le philosophe ne peut ignorer les travaux du biologiste.
Jusqu'à Darwin, l’homme pouvait dormir tranquille. L’organisation de la nature était inscrite dans un finalisme ayant pour origine Dieu ou un Grand Horloger.
Jusqu’à Darwin, les découvertes scientifiques les plus révolutionnaires, étaient rassurantes, même si elles dérangeaient l’ordre établi par l’Eglise.
Les mouvements célestes avec Galilée, les systèmes mécaniques avec Newton, répondaient à des lois. La science permettait de rassurer la raison humaine en rapportant les « changements » à des lois stables. Mais avec Darwin le changement n’est plus un épiphénomène, le changement c’est la loi de la vie, soumise au hasard.
L’ordre du monde en était bouleversé et la perspective du hasard ne pouvait qu’ouvrir la porte, à tous les bouleversements, à tous les extrêmes.
Mais, si l’on peut comprendre la réaction d’un monde religieux, agressé dans ses convictions conservatrices, il est plus difficile de comprendre les dérives d’hommes se réclamant de la raison et du progrès.
L’’explication, il faut la rechercher dans le contexte historique. Celui-ci, en effet, est éminemment favorable. La réception de l’œuvre darwinienne se fait dans un environnement, le XIXe siècle, marqué en Angleterre, par une énorme « aspiration vers le progrès ».
C’est l’époque qui voit le développement, de l’industrialisation, du capitalisme et l’émergence d’une classe bourgeoise, qui aspire à sortir de l’ordre ancien, dominé par les traditions aristocratiques et religieuses.
A cela s’ajoute la crainte de la prolifération d’une classe de population, le prolétariat, jugée incapable de contribuer au progrès social, c'est-à-dire a la croissance des ressources. Crainte amplifiée par la thèse de Thomas Malthus (1766-1834), au début du XIXe siècle. En effet, pour ce pasteur et économiste, l’augmentation d’une population sur un territoire donné est plus rapide que l’augmentation des ressources que peut fournir ce même territoire.
De plus, l’accumulation de nouvelles connaissances donne l’impression de pouvoir tout repenser en termes scientifiques et remettre en cause les anciens dogmes immuables.
On attend de la science une vision systématique du monde et de la société. Dans ce siècle de révolution politique, économique, sociale, pas plus le monde que les sociétés humaines, ne sont considérées comme des choses stables et immuables. Les mots évolution et progrès sont devenus des synonymes.
Même Dieu n’est plus gênant, puisque Darwin l’a tué ! Individualisme, eugénisme, rationalisme, fascisme, marxisme peuvent faire bouillonner leurs idées dans un même chaudron, le Darwinisme ! Bernard Shaw lui-même, disait : « Darwin eut la chance de plaire à quiconque avait une hache à affuter »
C’est ainsi, que prenant pour postulat le statut animal de l’homme, certains évolutionnistes vont, sous couvert de rationalisme, jusqu’à remplacer les concepts d’éducation et de liberté, par des notions de dressage et de domestication. Poussant le raisonnement à l’extrême, ils déclarent, que comme en élevage, il faut contrôler la reproduction de l’homme. Sa domestication implique sa soumission aux impératifs sociaux et communautaires. De tels dévoiements du darwinisme donneront naissance à des théories favorables à l’eugénisme ou au racisme.
D’autres, considérant la théorie de Darwin comme un fondement scientifique de l’évolution des sociétés humaines, vont alors proposer aux peuples la seule alternative politique qu’ils jugent souhaitable: une oligarchie, réunissant on s’en doute, des experts agissant au nom du bien de l’humanité toute entière. Le Totalitarisme, puisqu’ il faut bien l’appeler par son nom, apparait alors, comme une forme particulièrement adaptée à ces projets grandioses, qu’ils soient de droite ou de gauche, fasciste ou marxiste.
Mesdames et Messieurs, aucun excès ne justifie son contraire. Exact pendant des excès de spiritualisme, les excès de rationalisme et de matérialisme, se révèlent tout aussi dangereux, lorsque science et philosophie, science et politique s’instrumentalisent mutuellement. Ce danger n’est pas seulement un souvenir du passé, c’est malheureusement aussi une vision de l’avenir très inquiétante.
Aujourd’hui en France, Science et Politique, ont des relations dangereuses car elles ont besoin l’une de l’autre. La recherche parce qu’elle est financée en grande partie par la politique (CNRS par ex). La politique parce qu’elle est sous l’influence du discours scientifique qui lui offre une sorte de caution, une raison d’agir. Comme le dit Didier Sicard, Président du Comité Consultatif National d’Ethique : « Il y a toujours un moment ou la politique prend la science au mot pour transformer la société, au motif que la « science dit vrai ». De toute évidence le Darwinisme a été, l’une des premières théories scientifiques à en faire les frais.
Mesdames et messieurs, nous voici arrivés au terme de cette histoire passionnelle de plus de 150 ans. Je vous livre maintenant ma conclusion .
Tout d’abord, il faut surtout se garder de penser qu’il n’existe que deux choix possibles : d’un côté une science radicalisée par la philosophie et la politique , et de l’autre, une religion fondamentaliste. On l’a vu, ces positions extrêmes nous mènent systématiquement dans une impasse. Elles conduisent toutes au dogmatisme ou au sectarisme.
Comme toujours les réflexions les plus fécondes sont dans l’entre deux, là ou un véritable échange se produit, loin des idéologies qui veulent tout englober.
En fait, Sciences et religion, matérialisme et spiritualisme au lieu de s’opposer doivent se compléter.
Chacun d’entre nous garde en mémoire le jugement et l’abjuration forcée de Galilée, en 1633. Ces faits dans notre paysage culturel résonnent comme le symbole des affrontements entre science et religion.
Pourtant, Galilée a sans doute été le premier à mettre en avant, la complémentarité de la science et de la religion en affirmant lors de son procès : « la science nous dévoile comment est le ciel, la religion nous enseigne comment y aller ! ». Une sorte de laïcité où chacun intervient dans son domaine tout en respectant celui de l’autre.
Parce qu’il est le seul animal à savoir qu’il va mourir, l’homme a besoin de donner un sens à sa vie. La science par son coté rationnel et rassurant peut apporter une réponse à cette quête. Mais la réponse est forcément incomplète. La science ne peut pas expliquer le « pourquoi suprême », ni la valeur éternelle de l’amour. La spiritualité apporte à l’homme, qui veut bien le recevoir, le complément de réponse que la science lui refuse.
Comme le dit le biologiste américain Stephen Jay Gould, « de même que l’organisme a besoin pour subsister, à la fois de nourriture et de sommeil, aucune Totalité ne peut se dispenser des apports variés de parties indépendantes ». Gould, auteur de la théorie évolutionniste de « l’équilibre ponctué », agnostique et pourfendeur du « créationnisme », défend un principe qu’il appelle le NOMA : c'est-à-dire le principe de NOn-empietement des MAgisteres.
Voici comment il le définit : « Premièrement, ces deux domaines ( la science et la religion) sont d’égale valeur et aussi nécessaire l’un que l’autre à toute existence humaine accomplie ; deuxièmement , ils restent distincts quant à leur logique et entièrement séparés quant à leur styles de recherche, même si nous devons étroitement intégrer les perspectives des deux magistères pour élaborer la riche et pleine conception de l’existence que l’on désigne traditionnellement comme « sagesse ».
Un passage de la Bible, illustre parfaitement cette définition. Il s’agit du chapitre 20 de l’Evangile de Jean qui parle du sujet, certainement le plus difficile à appréhender par un scientifique : la résurrection. Jésus ressuscité apparait d’abord à Marie Madeleine, puis à tous les disciples sauf Thomas, alors absent. S’ensuit le récit suivant :
« Thomas appelé Didyme, l’un des douze, n’était pas avec eux lorsque Jésus vint.
Les autres disciples lui dire donc : nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit : si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son coté, je ne croirai point. »
Thomas se comporte la, en vrai scientifique. Il lui faut des preuves. Pas seulement une, mais trois preuves. C’est ce que l’on peut appeler, de la rigueur scientifique.
L’histoire continue. Jésus revient une semaine plus tard. Thomas est présent.
« Jésus vint, les portes étant fermées, se présenta au milieu d’eux et dit : la paix soit avec vous !
Puis il dit à Thomas : avance ici ton doigt, et regarde mes mains, avance aussi ta main et mets la dans mon côté, et ne sois pas crédule, mais crois.
Thomas lui répondit : mon seigneur mon Dieu !
Jésus lui dit : Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! »
Tout est dit.
Science et religion, ne procèdent pas de la même logique.
La Science a sa raison que la Foi ne connait pas.
La Science a besoin de connaissance. La Religion, elle, n’est
pas affaire de Connaissance.
Curieusement, les progrès de l’imagerie médicale, nous
apprennent que le cerveau humain lui-même, ne loge pas
dans le même hémisphère la raison et le spirituel, la Science
et la Religion.
Chaque hémisphère à sa spécificité : à l’hémisphère
gauche, la science et la raison, à l’hémisphère droit, la
religion et le spirituel.
Mais si l’homme veut à la fois connaitre le cœur et la raison,
il a besoin de son Cerveau tout entier, de ses deux
hémisphères.
Pour terminer, Mesdames et Messieurs, je voudrais revenir un instant sur le statut d’animal, conféré à l’homme par les évolutionnistes. On a vu tout le danger qu’il y avait, de réduire l’homme à sa seule animalité (eugénisme, racisme etc..). Il faut aussi se méfier de ceux qui mélangent à dessein, zoomorphisme et anthropomorphisme, afin de mieux entretenir la confusion.
Bien sûr pour moi, l’Homme, d’un point de vue évolutif, est un animal. Mais c’est un animal singulier. Pour moi l’Homme occupe une place à part dans le règne animal.
Etymologiquement, l’animal c’est l’être animé, c'est-à-dire doté d’une âme (anima). Pour Aristote, ce mot ne désignait pas tous les êtres. Il réservait le mot animal aux vivants qui montrent « une capacité de connaissance sensible ». Parmi ceux-ci, il faisait un tri : d’un côté les « animaux » doués de la parole « logos » et de l’autre, tous les autres.
Je partage cette approche. L’homme est un animal d’exception.
Je ne reviendrais pas sur les arguments classiques : l’encéphale de
l’homme est l’organe qui s’est le plus développé au cours de
l’évolution, avec pour corollaire l’acquisition d’une intelligence
supérieure. L’homme est le seul animal capable de parler et écrire.
L’homme est le seul animal a enterré ses morts et à avoir une
interrogation métaphysique.
Tous ces arguments sont connus. Mais il y a plus spécifique à
l’homme. A partir du moment où l’espèce humaine s’est organisée
en société, l’éducation a été privilégiée à la sélection. Le petit de
l’homme, grâce à l’éducation transmise par ses parents et la
société, bénéficie de toutes les connaissances acquises par
l’Humanité depuis son commencement.
C’est grâce à cette culture universelle que l’Humanité a pu et
continue de faire des progrès.
Chez l’animal, le petit n’a pour tout bagage, que ses instincts et ce
qu’il apprend en imitant ses parents, c'est-à-dire leurs maigres
acquis d’une seule et courte vie. Tout est à refaire à chaque
génération, ce qui rend le progrès impossible pour les sociétés
animales.
La transmission des connaissances, de générations en générations,
que l’on appelle plus simplement l’éducation, est le propre de
l’homme.
Cette évolution spécifique de l’homme, a été le moteur principal du progrès de l’humanité au cours des siècles.
Sans elle, l’homme serait resté à tout jamais, un animal comme les autres.
Mais, je ne voudrais pas terminer mon exposé sans revenir à
Darwin. Je lui laisse le mot de la fin. Voici ce qu’il écrivait
en 1860 à son collaborateur Asa Gray :
« Je ne peux me contenter de voir cet univers magnifique et surtout la nature de l’homme et conclure que tout cela n’est que le résultat de forces brutes.
Je suis disposé à regarder toute chose comme provenant de lois faites à dessein, mais dont les détails, soit bons soit mauvais, auraient été abandonnés à ce que nous pouvons appeler le hasard ».
Voilà de quoi relancer le débat « hasard et finalité », « science et religion ».
Passionnant, non !
J.C. BOUCHARDON
12 Mars 2015
DARWIN et le DIVIN - Une histoire passionnelle depuis 150 ans
Pour ma part j’ai fait connaissance avec Darwin dans les années 1960, alors que j’étais étudiant, en classe prépa veto au Lycée du Parc à Lyon.
Pour nous faire découvrir la théorie de Darwin, notre professeur de biologie avait choisi de nous raconter l’histoire évolutive des Equidés. Je dois dire que j’avais été émerveillé par la simplicité et l’évidence du processus évolutif qu’il détaillait devant nous.
Il commençait l’histoire par l’Eohippus, qui vivait il y a 60M d’années, de la taille d’un grand chien et doté de quatre doigts à chaque membre, pour finir par l’Equus, apparu il y a 4 à 5 M d’années, mesurant lui, entre 1m25 et 1m35 au garrot et doté d’ un seul doigt à chaque membre . Et tout naturellement, il concluait, que la sélection naturelle avait permis au cheval de se spécialiser à la course, en favorisant les individus qui ne possédaient qu’un seul doigt à chaque membre.
Je dois dire que la théorie de Darwin satisfaisait pleinement mon esprit rationnel.
Diverses découvertes paléontologiques venaient accréditer la thèse. Il n’y avait pas d’affirmation sans preuve.
J’étais heureux d’avoir acquis une nouvelle connaissance scientifique qui venait compléter ma culture générale.
Mais quelle n’a pas été ma surprise, lorsque, quelques années plus tard, j’ai découvert au fil de mes lectures, que l’impact de Darwin avait très largement débordé le champ de la Biologie, pour intéresser l’histoire, la politologie, la religion, en un mot toutes les sciences humaines.
En fait, tout a commencé le 24 novembre 1859 lorsque parait à Londres l’ouvrage d’un discret notable de province, déjà quinquagénaire, Charles Darwin. Ce jour-là son livre fait l’effet d’une bombe. Les 1250 exemplaires « De l’Origine des Espèces par le moyen de la sélection naturelle » sont vendus dans la journée. Et depuis cent cinquante-cinq ans, les passions ne se sont jamais éteintes.
Mais que dit Darwin, pour provoquer une telle effervescence ? Et bien, sa théorie est révolutionnaire, parce qu’elle introduit la notion de hasard avec la sélection naturelle. De plus elle fait descendre toutes les espèces vivantes d’un seul et même ancêtre commun.
En fait, Darwin, rompt tout simplement avec le finalisme qui dominait la philosophie occidentale depuis Aristote, c'est-à-dire depuis plus de deux mille ans. Et en plus, avec Darwin, Dieu lui-même, parait inutile.
Alors, Mesdames et Messieurs, Vous comprenez aisément, pourquoi Darwin a soulevé tant de passions !
Dans une première partie je vous présenterais Darwin et son œuvre. Puis je vous emmènerais à la rencontre des opposants et des adeptes de sa théorie. J’essayerais ensuite de comprendre avec vous, comment des hommes d’inspirations philosophiques très variées, voir même opposées, ont pu élaborer, à partir d’une même hypothèse scientifique, des théories radicalement différentes. Enfin, je terminerais par une conclusion personnelle en forme de synthèse.
Charles Darwin est né le 12 février 1809. Il est le cinquième enfant d’une famille qui en comptait six. Il perd sa mère, assez jeune, à l’âge de 8 ans et est placé dans un externat religieux. Dans sa jeunesse, c’était un enfant plutôt distrait et tête en l’air. Mais, très tôt il s’intéresse aux sciences naturelles. Il recherche les minéraux, les coquillages, chasse les oiseaux. Collectionneur, il ramasse tout ce qu’il trouve.
Sur les conseils de son père, lui-même médecin, il entame en 1825 des études de médecine, qu’il abandonnera très rapidement. Il envisage alors une carrière de Pasteur qui lui permettrait de mener une vie facile, à la campagne. Pour cela, il part en 1828 étudier la théologie à Cambridge.
Mais il faut bien le reconnaitre, sa vie d’étudiant est plus occupée par des promenades dans la nature que par des travaux théologiques.
Et voilà qu’en 1831, une occasion se présente à lui, d’exercer ses talents. La marine anglaise recherche un naturaliste, sans traitement, pour accompagner un jeune capitaine, son ainé seulement de quatre ans, le capitaine Robert Fitz-Roy, qui envisage une expédition autour des cotes de l’Amérique du sud, afin de faire des relevés cartographiques.
Le « Beagle », c’est le nom du bateau, quitte Devonport le 27 décembre 1831. Au lieu de durer deux ans comme prévu, l’expédition durera presque cinq ans. Longeant la côte atlantique depuis la baie de Rio jusqu’à la Terre de Feu, le Beagle croise le cap Horn, remonte la côte pacifique et atteint les iles Galápagos le 15 septembre 1835.
Il prend ensuite la direction de Tahiti, la Nouvelle Zélande, l’Australie, passe le cap de Bonne Esperance le 31 mai 1836 et arrive à Falmouth en Angleterre le 2 octobre 1836.
Cette expédition fournit à Darwin une masse considérable d’observations et de matériaux, d’où il tirera ses considérations théoriques. Des caisses d’échantillons, accompagnées de notes détaillées, sont envoyées régulièrement en Angleterre tout au long du voyage.
Elles contribuèrent d’ailleurs à faire connaitre le jeune naturaliste et à son retour, Darwin est déjà célèbre.
En 1839, il publie « Voyage d’un naturaliste autour du monde ». L’ouvrage et ses travaux lui valent d’être élu membre de la « Royal Society ». L’impressionnante moisson d’échantillons de minéraux et d’animaux collectés tout au long du voyage, enrichit les connaissances de l’époque, dans des domaines aussi variés que la géologie, la zoologie ou l’anthropologie.
Dans le domaine de la géologie, Darwin découvre de nombreux fossiles d’espèces disparues et il est convaincu que leur extinction, n’est pas due à un cataclysme.
Dans le domaine de la zoologie, Darwin observe les pinsons des iles Galápagos, les seuls oiseaux vivant dans cette contrée. Ces oiseaux sont à peu près tous de la même taille, entre 10 et 20 cm, mais leurs caractéristiques au niveau du bec sont différentes d’une ile à l’autre. Darwin émet alors l’hypothèse, que c’est finalement l’isolement géographique et le régime alimentaire qui ont conduit à la formation d’espèces distinctes, à partir d’un ancêtre commun.
Dans le domaine de l’anthropologie, un évènement, la rencontre de peuplades de la Terre de Feu, fut déterminant pour Darwin.
Trois habitants de cette contrée, recueillis lors d’un précèdent voyage, étaient à bord du Beagle.
Ils avaient passés quelques années en Angleterre, avaient même été baptisés, et revenaient dans leur pays, en principe comme missionnaires.
Un an après leur débarquement, le Beagle revint faire escale en Terre de Feu. De toute évidence, l’empreinte civilisatrice n’avait, pas été très résistante. Les trois Fuégiens avaient abandonné leur mission et un seul fut retrouvé. Il expliqua qu’il était très heureux d’avoir regagné sa terre natale et qu’il n’avait aucune envie de retourner en Angleterre. Darwin, qui n’avait jamais rencontré ces peuples dits « sauvages » dans leur milieu naturel, découvrit à cette occasion, la grande différence dans le développement des groupes humains, la grande différence entre ces « primitifs » et l’anglais « civilisé ». Il lui apparut alors, que finalement, l’humain n’était pas si éloigné de l’animal et que la différence était plus d’ordre culturel que naturel.
De retour en Angleterre, après avoir mis en forme les matériaux qu’il avait rapportés de l’expédition du Beagle, Darwin prit conscience, du bienfondé d’une vision évolutive du vivant.
D’ailleurs, le petit fils d’Erasmus ne pouvait ignorer les idées évolutionnistes de son grand père. Médecin libre penseur, admirateur du français Lamarck, Erasmus Darwin, est l’auteur de « Zoonomie », une théorie de la formation graduelle et du perfectionnement du règne animal.
Mais Darwin hésite encore et toujours à publier ses travaux. Vingt ans après son retour d’expédition, il n’en a toujours pas terminé la rédaction. Il fallut la parution d’un mémoire d’Alfred Russel Wallace en juin 1858, qui reprenait en partie sa théorie de la sélection naturelle, pour que Darwin se décide, enfin, à publier son œuvre majeure. Le 24 Novembre 1859 paraissait donc à Londres « L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie. ».
L’hypothèse, développée dans son livre, solidement argumentée par ses observations, est simple : les organismes individuels produisent des descendants qui leur ressemblent (c’est l’hérédité), mais avec de petites variations. Ces variations peuvent être favorables ou défavorables aux descendants en fonction du milieu.
Et c’est le milieu naturel qui sélectionne les plus aptes à survivre.
Mais cela suppose aussi que le milieu exerce une certaine pression sur les individus car il ne peut pas tous les nourrir.
Darwin avait été très impressionné par la théorie du sociologue Malthus, et il écrit : « Comme il nait plus d’individus qu’il n’en peut vivre, il doit y avoir, dans chaque cas, lutte pour l’existence, soit avec un autre individu de la même espèce, soit avec des individus d’espèces différentes, soit avec les conditions physiques de la vie. ».
Il y a donc une « lutte pour la vie (struggle for life) » dont l’idée, reconnait Darwin « provoque de tristes réflexions ». Mais Darwin conserve l’espoir que cette lutte ne sera pas vaine : Il écrit « la guerre n’est pas incessante dans la nature…la peur y est inconnue…la mort est généralement prompte, et … ce sont les plus vigoureux, sains et heureux qui survivent et se multiplient. » Ainsi la nature « sélectionne » les individus les mieux adaptés, qui sont assurés d’avoir une plus grande descendance. Ne survivent à terme que les variantes qui présentent des caractères susceptibles de résister aux conditions du milieu et aux prédateurs.
Pour Darwin, les variations entre générations sont de faible ampleur, « graduelles ». Un principe fondamental à ses yeux est que « la nature ne fait pas de sauts brusques. Elle ne peut avancer que par degrés insignifiants, lents et surs ».
Mais, avec le temps, lorsque les différences deviennent telles que les individus ne peuvent plus se croiser entre eux, ces variations peuvent donner naissance à de nouvelles espèces.
Pour résumer, le modèle darwinien se décline selon trois composantes :
- 1 - Toutes les formes de vie, après modification, descendent d’un ancêtre commun
- 2 - Existence de variations aléatoires sélectionnées par la nature
- 3 - Nécessité d’un temps très long pour accomplir la sélection.
A ces trois composantes Darwin en a rajouté deux autres un peu plus tard :
- La sélection sexuelle (la femelle, ou parfois le male, choisit le partenaire le plus fort ou le plus séduisant).
- La sélection de groupe (certains individus peuvent se sacrifier au profit de la survie du groupe).
Alors, tout naturellement, vient à l’esprit cette question. Pourquoi ne pas appliquer ce modèle à l’émergence de l’espèce humaine ? Il était évident que l’Humanité appartenait au règne animal. La proximité de l’homme avec les grands singes avait d’ailleurs été relevée depuis déjà longtemps. Linné lui-même, s’en était fait l’écho.
Mais Darwin hésite toujours à franchir le pas.
Il est conscient des réactions que cela ne manquera pas de provoquer. Va-t-on en déduire que l’homme descend du singe ? N’est-ce pas la fin de la morale ?
Pourtant, douze ans après l’Origine des Espèces Darwin publie le 24 février 1871 un ouvrage encore plus volumineux que le précédent : « La filiation de l’homme (the descent of Man) ».
A l’époque on ne possédait quasiment pas de fossiles humains préhistoriques. La première véritable découverte date de 1857, soit deux ans avant la parution de l’Origine des espèces. Cette découverte, c’est celle d’un squelette humain dans la vallée allemande de Néander, squelette que l’on appela tout naturellement : l’homme de Neandertal. Puis en 1868 ce fut l’Homme de Cro-Magnon et en 1891 le pithécanthrope de Java, considéré à l’époque comme le chainon manquant entre le singe et l’homme. Puis la fréquence des découvertes s’accélère à partir des années 1920 : sinanthrope en Chine, l’australopithèque en Afrique, etc., etc...
Bien que ne connaissant pas toutes ces découvertes, Darwin dans sa « Filiation de l’Homme », propose une vision progressive de l’humanité. Pour lui le passage de l’animalité à l’humanité est une lente croissance à travers des étapes successives.
Mesdames et Messieurs, Darwin venait d’ouvrir la boite de Pandore de tous les bouleversements possibles. Toutes les passions allaient pouvoir s’exacerber.
Comme on pouvait s’y attendre, la première à se sentir mal à l’aise, fut L’Eglise. Il est vrai que le modèle darwinien remet en cause, sinon des dogmes, tout au moins certaines représentations habituelles du christianisme.
La première concerne la chronologie biblique. La longue durée nécessaire au processus évolutif s’oppose bien évidemment à la brièveté de la création selon la Genèse. Le schéma darwinien suppose un temps beaucoup plus long que 4000 ans avant la naissance du Christ.
Cette lecture littérale de la bible alimente d’ailleurs aujourd’hui la controverse avec les créationnistes, dont nous reparlerons tout à l’heure. Pourtant les premiers éléments d’une lecture critique de la bible ne datent pas d’aujourd’hui, puisque au XVIIe siècle, Galilée, reprenant Saint Augustin, avançait comme argument pour sa défense, lors de son fameux procès, que les textes de l’Ecriture sont « accommodés » aux lecteurs du temps. S’ils parlent de fixité de la terre, c’est que cela correspondait à la cosmologie de l’époque.
Le deuxième problème posé par Darwin à l’Eglise est le rôle de Dieu dans la Création. Jusque-là, plus les naturalistes découvraient des mondes nouveaux et des espèces nouvelles, plus ils pouvaient s’émerveiller devant l’ordre harmonieux de la nature, dont l’origine ne pouvait être que « surnaturelle ».
Or Darwin prétend fournir une explication à cette adaptation qui ne fait appel à aucune instance extérieure à la nature. Dieu n’aurait plus aucun rôle dans la marche du monde. Le Darwinisme devient, pour certains, la meilleure démonstration de la non existence de Dieu.
Enfin troisième problème pour l’Eglise, le rôle mis en avant par Darwin, du hasard. Il met en cause la notion même de Providence et l’intervention d’un hasard fondamental semble ramener le chaos au premier plan.
Différentes instances religieuses (le Concile allemand en 1860, la commission biblique pontificale en 1909) ont bien entendu dénoncé cette remise en cause de la nature humaine par l’œuvre darwinienne. Mais il faut bien le reconnaitre, il n’y a eu pratiquement pas de réaction officielle. « L’origine des espèces » de Charles Darwin n’a pas été mise à l’index comme l’avait été l’œuvre d’Erasmus Darwin son grand-père.
Il faut attendre 1950 et l’encyclique « Humani generis », du très conservateur Pie XII, pour avoir une expression officielle. Le Pape déclare que « le magistère de l’église n’interdit pas que la doctrine de l’évolution, dans la mesure où elle recherche l’origine du corps humain à partir d’une matière déjà existante et vivante, soit l’objet, dans l’état actuel des sciences et de la théologie, d’enquêtes et de débats entre savants de l’un et de l’autre parti. »
C’est un grand tournant. Cette encyclique ne prend certes pas parti pour la théorie de l’évolution et apporte de nombreuses restrictions. Mais elle ouvre la porte aux recherches. C’est un feu orange pour les scientifiques et les clercs.
Il faut ensuite attendre Jean-Paul II, pour avoir des prises de position plus positives. En 1996, devant l’Académie des Sciences, celui-ci déclare : « aujourd’hui, après la parution de l’encyclique, de nouvelles connaissances conduisent à reconnaitre dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse. Il est en effet remarquable que cette théorie se soit progressivement imposée à l’esprit des chercheurs, à la suite d’une série de découvertes faites dans diverses disciplines du savoir. La convergence, nullement recherchée ou programmée, des résultats de travaux menés indépendamment les uns des autres, constituent par elle-même un argument significatif en faveur de cette théorie. » Il rappelle toutefois, que la science reste limitée dans son propos, quand il s’agit de l’homme.
Benoit XVI est resté sur la même ligne.
Tel est aujourd’hui la position officielle de l’Eglise catholique.
Mais, je ne peux pas terminer ce chapitre sur les relations entre l’Eglise catholique et Darwin, sans parler de Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955). Il est connu, en effet, comme celui qui a réconcilié la science et la religion, le christianisme et l’évolution. Tout au long de sa vie, ce jésuite a tenté d’effectuer une véritable synthèse entre une vision chrétienne et une vision évolutive du monde vivant.
Certes, comme on le verra un peu plus loin, Teilhard a rencontré des oppositions y compris au sein de l’église catholique.
Teilhard, dès son enfance, s’intéresse à l’histoire naturelle et plus particulièrement aux minéraux. Il est profondément croyant. Dans son autobiographie écrite en 1950 « le cœur de la matière » il note un « retournement », qui s’opère en lui, lorsqu’il prend conscience que la vraie consistance, n’est pas dans la dureté du métal mais dans l’évolution du vivant.
Entré dans la Compagnie de Jésus, ses supérieurs l’encouragent à s’orienter vers la paléontologie. Le père Teilhard entre donc au Museum d’histoire naturelle en 1911. La guerre malheureusement interrompt ses recherches, mais après la démobilisation, il soutient sa thèse en 1922.
C’est à cette époque qu’a lieu un incident qui eut de grandes conséquences sur la suite de ses travaux. Une note personnelle sur « le péché originel » rédigée en 1921 et destinée à l’un de ses confrères jésuites, a le malheur (on ne sait pas par quel canal) de parvenir sur un bureau romain. Il faut dire que cette note n’était pas tout à fait anodine. Teilhard ne faisait pas moins que de mettre en doute l’existence du pêché d’Adam.
En novembre 1924, Teilhard est convoqué par son supérieur provincial qui lui demande de ne plus s’exprimer sur des sujets théologiques et lui annonce son départ pour la Chine.
La Chine a été pour lui un formidable terrain d’expérimentation. En particulier, il participe, à la découverte du sinanthrope, le fameux homme préhistorique de Pékin. La période chinoise dure jusqu'à la fin de l’occupation japonaise. Mais à son retour en France, certains censeurs perçoivent chez Teilhard, l’ombre « d’une nouvelle théologie ». Il semble une fois encore préférable de l’éloigner de Paris et c’est New-York qui l’accueille jusqu’à sa mort le 10 mai 1955.
Rapidement, quelle est la thèse de Teilhard ? Pour lui l’évolution doit avoir un sens. Le monde commence dans la matière. La matière, animée par Dieu, tend à se complexifier toujours davantage.
Cette complexité s’accompagne d’une plus grande « centration » c'est-à-dire qu’elle s’accompagne d’une plus grande « conscience » pour les organismes très complexes comme l’organisme humain. Pour Teilhard la logique de l’évolution est une logique d’unification et non de dispersion. Le processus d’unification se poursuit au-delà de l’émergence de l’homme, au-delà de l’accès à la pensée, vers l’émergence de la « noosphère », ou l’homme rejoindra Dieu en un « point Oméga ».
Rassurez- vous, Mesdames et Messieurs, j’arrête là mon exégèse. Tout d’abord parce que je ne suis pas un spécialiste de Teilhard de Chardin, et ensuite parce que ce n’est, bien sûr, pas le sujet de ce soir. Disons en conclusion, que Teilhard a su séduire certains esprits par sa position originale, mais il en a aussi beaucoup déroutés.
Si aujourd’hui, l’Eglise catholique officielle s’accommode de la théorie de l’évolution, si les chrétiens sincères peuvent l’accepter non seulement comme une possibilité mais aussi comme un fait établi, il n’en va pas de même pour certaines communautés religieuses fondamentalistes.
Leur rejet du Darwinisme a donné naissance à un phénomène, au départ typiquement américain, que l’on appelle le « Créationnisme ».
Les premiers mouvements apparaissent en effet, dans les années 1920, dans le sud des Etats Unis, rural et pauvre, sur fond de guerre mondiale et de révolution bolchevique. En fait, ce « créationnisme » de la première heure est issu du puritanisme religieux des Pères fondateurs de l’Amérique, fuyant une Angleterre qu’ils jugeaient décadente.
Il faut dire aussi que le contexte typiquement nord-américain d’une multitude d’églises protestantes, a favorisé l’émergence d’un nombre impressionnant de sectes, couvrant toutes les formes imaginables de cultes et de croyances.
Et c’est en leur sein que sont apparus « Les Créationnistes ». Ceux-ci refusent tout modernisme et professent la Genèse comme la seule vérité sur la création du monde. Pour ces fondamentalistes protestants, la Terre à 6000 ans, comme il est écrit dans la bible, le déluge a bien eu lieu, Dieu a créé les espèces vivantes en six jours et dans leurs formes actuelles, et l’homme en couronnement de la nature.
Suite à ce développement des thèses créationnistes, à partir de 1921, certains Etats américains ont été conduits à promouvoir des lois pour interdire l’enseignement de l’évolution, dans les écoles.
Un célèbre procès a eu lieu en 1925 à Dayton dans le Tennessee, que l’on a appelé le premier « procès du singe ».
Un jeune instituteur, John Scopes, est accusé d’avoir enseigné, en bravant la loi en vigueur, la théorie de l’évolution dans son école. Il est soutenu par les courants libéraux et en face c’est l’avocat William Bryan qui défend les valeurs traditionnelles. Voici un extrait de sa défense: « Celui qui conçoit la thèse évolutionniste donne à l’étudiant une famille vieille de trois millions d’années et le laisse ensuite aller à la dérive, avec une capacité infinie à faire le bien et le mal sans aucune lumière pour le guider, sans compas pour lui indiquer la route, sans carte sur l’océan de la vie. »
Finalement, Scopes perd son procès et est condamné à verser une amende de cent dollars. Mais l’affaire est médiatisée. La campagne fondamentaliste porte malgré tout ses fruits : les éditeurs d’ouvrages scolaires préfèrent éviter toute référence à Darwin pour pouvoir vendre leurs livres.
Apres quelques années de calme, aux USA, les passions s’échauffent à nouveau après la seconde guerre mondiale. Le lancement du premier Spoutnik, fait réaliser aux américains, leur retard scientifique. Ils comprennent alors que le développement de la Biologie passe par un enseignement de la théorie de l’évolution.
Les lois antiévolutionnistes sont rapportées et finissent par être déclarées anticonstitutionnelles.
C’est dans ce contexte que Henry Morris (1918-2006) lance en 1963 le « créationnisme scientifique ». Ces nouveaux créationnistes s’emploient à démontrer que la théorie darwinienne n’a pas le statut de rigueur scientifique qu’elle prétend avoir.
Puis dans les années 1970, avec le contexte troublé de la guerre du Vietnam, on assiste à un retour du fondamentalisme. Plusieurs Présidents républicains militent en faveur d’un traitement équilibré entre la théorie de l’évolution et la doctrine de la création. Ronald Reagan, candidat à la maison blanche, déclare en 1981 : « L’évolutionnisme est seulement une théorie scientifique, une théorie que la communauté scientifique ne croit plus aussi infaillible qu’on l’a cru autrefois. En tout cas, si l’on se décide à l’enseigner dans les écoles, je pense qu’on devrait aussi enseigner le récit biblique de la création. »
Suite à cette offensive, une douzaine d’Etats américains adoptent des lois, prévoyant un « traitement équilibré » des théories, concernant l’origine des êtres vivants.
C’est alors qu’à lieu le deuxième « procès du singe », à Little Rock dans l’Arkansas, en 1981. Et l’on découvre, que loin d’avoir disparu, le créationnisme avait poursuivi son œuvre pendant plus d’un demi-siècle. Loin d’être resté confiné dans le sud agricole traditionnaliste, il avait conquis les Etats du nord les plus modernes.
Ce procès, très médiatisé, donna lieu à un grand débat public au cours duquel les grandes Eglises chrétiennes et le Congre juif se démarquèrent des options créationnistes.
Comme en son temps Ronald Reagan, Georges W Bush, en 1999, propose, s’il est élu, que l’on enseigne désormais le récit de la Genèse en même temps que la théorie de l’évolution. Ceci afin, disait-il, que l’éducation dans les écoles publiques ait un fondement moral.
Sous ses deux premières formes, le créationnisme est aujourd’hui en voie de régression. Mais une nouvelle théorie est apparue, plus subtile, sans référence explicitement religieuse : « l’Intelligent Design » que l’on peut traduire par « Dessein Intelligent ». Ses principaux auteurs en sont le juriste Phillip Johnson (né en 1941), le biologiste Michael Behe (né en 1952) et le mathématicien William Dembski (né en 1960).
La thèse centrale de ce mouvement est que la succession des évènements qui débouchent sur la vie et sur l’émergence de l’intelligence, ne peut être attribué au hasard. Les simples lois naturelles n’ont pas pu produire « l’information complexe » qui caractérise les formes vivantes. L’explication par des processus physico-chimiques ne suffit pas non plus. Il faut un autre ordre d’interprétation. « Pour expliquer la vie, il est nécessaire de supposer l’action d’une intelligence qui n’a pas évoluée ».
L’un des arguments centraux de cette théorie, est la complexité « irréductible ». Par exemple, l’œil est un système trop subtil pour résulter des seules forces de la nature et ne peut être le fruit du hasard.
A première vue, cette théorie peut paraitre séduisante. Mais il faut raison garder. Que la biologie n’explique pas tout dans l’état actuel des connaissances est une évidence. Mais qu’elle ne puisse jamais expliquer la constitution évolutive de l’œil est un pari qu’aucun biologiste ne voudrait prendre. Nombre de phénomènes inexpliqués à une époque ont trouvé ultérieurement un éclaircissement. Les arguments du « dessein intelligent » ne sont pas sans rappeler la démarche créationniste. On retrouve en effet la même crainte que l’univers soit une grande machine sans but, sans finalité.
En France, les courants créationnistes ont toujours été extrêmement marginaux. Mais subrepticement le monde musulman vient de s’inviter.
Bon nombre de professeurs signale la difficulté qu’ils ont depuis quelques années, à enseigner la théorie de l’évolution aux jeunes musulmans. En janvier 2007, un ouvrage de 800 pages intitulé « l’Atlas de la Création » richement illustré et réfutant les thèses de Darwin au nom de l’islam, est distribué gratuitement, par milliers, dans nos écoles et nos institutions. L’auteur démontre que l’évolution est un mythe. La démonstration se base sur une masse de photographies de « fossiles », censées montrer qu’il n’y a aucune évolution des espèces. En conclusion, il accuse le darwinisme de tous les maux de nos sociétés occidentales : racisme, fascisme, communisme, athéisme, jusqu’aux attentats du 11 septembre !
Le mystérieux expéditeur est un certain Harum Yahya. Derrière ce pseudonyme, se cache en fait le prédicateur turc Adnan Oktar, fondateur de la « Fondation pour la Recherche et la Science ». Cette fondation travaille activement à la suppression de toute idée d’évolution dans l’enseignement turc. Il faut aussi savoir, que ce mouvement antiévolutionniste, le plus virulent du monde musulman, est très actif sur internet et les réseaux sociaux.
A l’opposé de la sphère religieuse, le Darwinisme a séduit tous ceux qui ont compris que l’on pouvait appliquer le modèle, aussi bien aux systèmes physiques qu’aux systèmes sociaux. En effet la théorie de la sélection naturelle permet aussi d’expliquer de nombreux aspects du développement culturel et intellectuel de l’humanité.
Curieuse coïncidence, l’année de parution de « l’Origine des espèces » (1859), Karl Marx publie « Contribution à la critique de l’économie politique », une première étude qui annonce son œuvre principale « le Capital ».
C’est Engels qui perçut le premier dans « l’Origine des espèces » la démonstration « qu’il y a bien un développement historique dans la nature ». Il signala l’ouvrage à Marx. Au terme d’une première lecture Marx et Engels s’enthousiasmèrent de ce que Darwin, avec sa théorie de l’évolution, justifie scientifiquement leur opposition à la religion. Darwin est sensationnel parce qu’il « démoli » la théologie, parce qu’il lui porte un « coup mortel ».
La réfutation darwinienne du religieux enchanta si bien Marx et Engels que l’on peut relever, selon Régis Ladous, entre la fin 1859 et le début 1861, l’esquisse de ce qui aurait pu être un Darwino-marxisme, une sorte de matérialisme dialectique sociobiologique.
En décembre 1860, Marx écrit à Engels qu’il croit reconnaitre dans « l’origine des espèces » : « le fondement historico-naturel de notre position ». Et il persiste un mois plus tard en écrivant « le livre de Darwin est très important et me convient comme base de la lutte historique des classes ». Mais dans le tome premier du capital en 1867, il n’y a plus aucune trace d’un quelconque rapprochement entre la lutte des classes et la lutte pour la vie, le mouvement dialectique et l’évolution selon Darwin.
En 1873 Marx envoie à Darwin un exemplaire du « Capital ». Dans une lettre datée du premier octobre de la même année, Darwin remercie Marx pour son intention. Il y affirme aussi « ne guère comprendre l’économie politique et constate que ses études ont été «différentes ». Il termine sa lettre par une profession de foi scientiste : « je crois, écrit Darwin, que nous désirons tous les deux sérieusement l’extension de la connaissance, et que cela, à la longue, ajoutera surement au bonheur de l’humanité ». La dessus Darwin coupa 105 des 822 pages du Capital et rangea définitivement l’ouvrage dans sa bibliothèque.
Il refusa à Marx, le 13 octobre 1880, la dédicace d’un ouvrage à paraitre.
Décidemment, le rendez-vous de Marx avec Darwin fut, comme le dit Patrick Tort, « un rendez-vous manqué ».
En France, des marxistes comme Paul Lafargue et Jules Guesde défendront la théorie darwinienne pour les mêmes raisons idéologiques que Marx, c'est-à-dire en tant qu’elle s’oppose à la religion. Pour eux, Darwin et Marx ont une même conception matérialiste de l’évolution.
Dans l’URSS des années 1930 - 1950, sur fond de marxisme stalinien, un certain Lyssenko, a recours lui aussi au Darwinisme, pour assoir sa doctrine pseudo-scientifique, doctrine qui remettait en cause, excusez du peu, la théorie de l’hérédité.
Il faut savoir, que depuis la disparition de Darwin en 1882, la biologie avait fait un bon considérable. Le moine autrichien Mendel avec ses travaux sur les hybrides ( je précise au passage que Mendel était le contemporain de Darwin , mais que ses recherches sont passées totalement inaperçues à cette époque et qu’elles ont été redécouvertes en fait trente ans plus tard), le moine Mendel donc, l’allemand Weismann avec sa démonstration de la non transmission héréditaire des caractères acquis, et l’américain Morgan avec ses expériences sur les mutations de la mouche drosophile, avaient contribué à l’avènement d’une nouvelle discipline en biologie : la génétique.
Mais dans l’URSS de Staline, les généticiens « bourgeois » sont présentés comme des « saboteurs, des incapables ou des ennemis du prolétariat… ».
C’est alors, qu’intervient un chercheur en biologie- agronomie de l’académie Lénine des Sciences, le fameux Lyssenko. Celui-ci se réclame des bases matérialistes du darwinisme pour mieux rejeter la nouvelle théorie de l’hérédité. Pour preuve il met en avant l’ignorance avouée de Darwin dans ce domaine, en citant un de ses écrits : « Nous ne pouvons prétendre expliquer ni les causes, ni la nature de la variabilité chez les êtres organiques ». Et pour cause, Darwin est mort avant l’avènement de la génétique.
La mauvaise foi est évidente. Mais elle permet à Lyssenko de réfuter les travaux de Weismann, et d’affirmer la transmissibilité des caractères acquis. De même, Lyssenko rejette la génétique mendélienne et prétend à l’existence possible, en lieu et place des chromosomes, d’un « organe de l’hérédité » !
En fait, encouragé et soutenu par Staline, le lyssenkisme est à but essentiellement, sinon uniquement, idéologique. Il est présenté par ses partisans comme l’exemple réalisé d’une « science prolétarienne » en opposition avec la « science bourgeoise ». Le Lyssenkisme est en cohérence avec l’idéologie communiste qui a une vision manichéenne du monde.
En France, en 1948, le poète stalinien Louis Aragon, s’improvise biologiste, en consacrant un numéro de sa revue « Europe » à la promotion des thèses lyssenkistes. Le titre de son article est éloquent : « Un grand évènement scientifique : l’hérédité n’est pas commandée par de mystérieux facteurs … ». Il faudra attendre 1958 pour que Jean Rostand, compagnon de route du PCF, commence à faire part de ses doutes.
En URSS c’est seulement en 1965, avec la chute de Khrouchtchev, que la génétique réintègre la recherche scientifique.
Pauvre Darwin. Il s’est trouvé mêlé bien malgré lui, à une scandaleuse affaire, dont le but évident, était de promouvoir une science pour ses vertus politiques et non pour sa véracité scientifique. En cela, le « lyssenkisme » peut être rapproché du « créationnisme » et faire figure de pendant politico- marxiste à la réaction religieuse fondamentaliste.
Vous l’avez compris Mesdames et Messieurs, l’attrait des politiques pour la théorie de Darwin provient essentiellement de son extension possible aux systèmes sociaux. Il est d’ailleurs fascinant de voir comme on peut être darwinien de droite comme de gauche. Ainsi à l’opposé du marxisme, Darwin a aussi fortement inspiré le Libéralisme de son époque.
Une illustration en est le « Darwinisme social » de Herbert Spencer (1820-1903) dont le développement rapide, a du même coup, fortement contaminé l’interprétation du darwinisme.
Penseur indépendant, Spencer, exerce différents métiers. Il travaille quelques temps pour la revue « The Economist », avant d’obtenir suffisamment de revenus pour ne plus dépendre d’un employeur.
A ses yeux, l’idée d’évolution est une idée globale, qui s’applique aussi bien aux espèces animales qu’aux sociétés. La lecture de l’ouvrage de Darwin fait découvrir à Spencer, la sélection naturelle. Dans son livre « Principes de biologie » (1864), il forge l’expression « survie du plus apte », reprise ultérieurement par Darwin. Son originalité est d’appliquer la sélection naturelle aux sociétés humaines, ce que Darwin s’était bien gardé de faire.
Spencer en tire un principe « libéral » de prééminence de l’individu, véritable entité sociale. L’individu prime sur le collectif. Dans la société, il ne peut s’accomplir que par lui-même, en restreignant au maximum toute influence de l’Etat. Le rôle de l’Etat doit se borner à protéger l’individu des agressions extérieures. Il faut donc donner toutes leurs chances « aux plus aptes » ou « aux plus adaptés ».
Mais que faire des « inadaptés » ? La réponse de Spencer est claire et cinglante : « Tout l’effort de la nature est de s’en débarrasser, d’en dégager le monde et de faire place aux meilleurs ». Les lois sociales qui protègent les « inaptes » sont donc nuisibles au progrès social. « L’idée d’agir pour éviter les souffrances humaines va contre les lois de la nature : la misère actuelle des pauvres est le résultat actuel de leur mauvaise conduite ». No comment.
Malgré tout, les idées de Spencer sont globalement bien accueillies par une opinion anglaise qui aspire à sortir de l’ordre ancien, dominé par les traditions aristocratiques et religieuses. Quant à Darwin il n’épouse pas pour autant toutes les idées de Spencer. Son ami, Thomas Huxley, surnommé le « bouledogue de Darwin », vient à son secours et critique vigoureusement la philosophie de Spencer.
Pour lui les règles de la nature ne peuvent pas être transposées aux sociétés humaines. Les normes éthiques ne doivent pas dériver de l’évolution.
Une autre figure célèbre peut être mise en parallèle avec Spencer. Celle de Francis Galton (1822-1911). Cousin de Darwin, explorateur, météorologue il devient criminologue (c’est lui qui introduit les empreintes digitales comme reconnaissance des individus).
Ayant découvert l’œuvre de Spencer, il cherche à l’exploiter concrètement et devient l’inventeur de l’eugénisme. Il s’agit de favoriser les plus aptes, ceux qui sont « bien nés » (eugenês, en grec, d’où l’invention du mot eugenic). Ceux qui ont les meilleurs caractéristiques, santé, intelligence, capacité de travail, doivent être encouragés à faire davantage d’enfants. C’est ce que l’on appelle « l’eugénisme positif ».
Galton se réfère explicitement au travail des éleveurs. Ceux-ci cherchent en effet, à améliorer les races animales, à partir de critères qu’ils ont fixés eux-mêmes (rendement en lait ou en viande par exemple). La même technique peut et même doit être transposée dans les sociétés humaines.
La morale judéo-chrétienne ayant une fâcheuse tendance à protéger les faibles, il y a un risque grandissant à voir apparaitre une dégénérescence de la race.
Pour Galton, les critères de sélection sont ceux du milieu. La référence est l’homme occidental (en particulier britannique, of course) en tant qu’il est actif et entreprenant. A cela s’opposent des formes de décadence interne (alcoolisme, tares physiques ou mentales) ou externe (les races « inférieures ») qu’il faut combattre. L’eugénisme positif glisse insensiblement vers un eugénisme négatif : éliminer les plus faibles ou ceux qui sont différends.
Galton, comme beaucoup de ses contemporains, craint surtout que l’espèce humaine dégénère du fait des progrès de l’hygiène et de la médecine. La sélection naturelle ne pourra plus jouer son rôle. Les organismes faibles auront plus de chance de survivre et transmettront ainsi leurs gènes défectueux à leurs descendants.
Galton exercera une forte influence sur une partie de la société américaine du XXe siècle. De plus ses idées se trouveront fortement renforcées par l’apparition de cette science nouvelle : la génétique. C’est ainsi qu’aux Etats Unis, le « Cold Spring Harbor Laboratory » de Long Island propose de 1910 à 1940 un programme de stérilisation des inaptes, essentiellement mentaux. Divers Etats adoptent des lois dans ce sens. Ces considérations génétiques justifient aussi l’interdit qui frappe les mariages interraciaux.
Bien entendu, Mesdames et Messieurs, notre propos sur l’eugénisme, ne peut nous éviter de rappeler l’usage qui en a été fait dans l’Allemagne nazie. Hitler était un lecteur assidu de Spencer. Les conséquences sont malheureusement trop connues pour qu’il soit nécessaire d’en reparler, ici.
Toutefois, si l’on en croit Patrick Tort, il n’est pas question de mettre toutes ces pratiques sur le compte d’une quelconque « ambiguïté » du darwinisme. Pour le Président de l’Institut Charles Darwin International, « la sélection naturelle sélectionne la civilisation qui s’oppose à la sélection naturelle. ».
Pour expliquer cette affirmation, pour le moins paradoxale, Patrick Tord avance, qu’il faut toujours avoir présent à l’esprit que, pour Darwin, la sélection naturelle sélectionne non seulement des variations organiques, présentant un avantage adaptatif, mais aussi des instincts.
Parmi ces instincts avantageux, « les instincts sociaux » ont été tout particulièrement retenus et développés, comme le prouve le triomphe universel des peuples dits « civilisés ». Pour preuve, Patrick Tord avance que, dans son livre « la Filiation de l’Homme » Darwin, affirme clairement que grâce à la civilisation, l’élimination des moins aptes a été remplacée par le devoir d’assistance ; l’extinction naturelles des malades et des infirmes a été stoppée par l’apparition des technologies et des savoirs (hygiène, médecine, etc…).
Ainsi par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans saut ni rupture, a sélectionné une éthique de la protection des faibles, traduite en une règle de conduite que l’on appelle tout simplement : la morale.
Pour expliquer le développement de cette éthique évolutionniste, d’aucun pourront y voir l’influence positive de la morale religieuse. A l’inverse, Patrick Tort, lui, y voit la base d’une « théorie matérialiste de la morale », permettant de soustraire l’éthique, à l’emprise dogmatique des morales religieuses.
Des contemporains de Darwin aux plus actuels de nos sociobiologistes , la liste est longue, de ceux qui se sont enferrés, en général avec de très bonnes intentions envers le genre humain, dans la logique de l’amélioration de l’espèce humaine, sur les fondements de la logique biologique.
Citons pêle mêle, l’anthropologue français Georges Vacher de Lapouge (1854-1936) militant socialiste , membre de la SFIO, Alexis Carrel (chirurgien français, Prix Nobel de médecine en 1912) auteur du célèbre ouvrage « l’homme cet inconnu » (1935), Charles Richet (Physiologiste marxiste britannique), Julian Huxley (biologiste britannique, membre fondateur de L’UNESCO et du WWF), et les découvreurs de la structure de l’ADN, Watson et Crick, tous penseurs se réclamant de l’évolutionnisme et dont les œuvres ont eu un immense succès, malgré des projets politiques eugénistes affichés.
Aujourd’hui gardiens du patrimoine génétique, les évolutionnistes ont trouvé, dans le développement des biotechnologies, une nouvelle voie : celle de modifier directement la nature humaine. Insidieusement l’eugénisme est de retour.
En France, aujourd’hui, seules certaines maladies particulièrement graves et mettant le diagnostic vital en jeu, peuvent justifier d’un diagnostic préimplantatoire (DPI). C’est le cas des trisomies 21 et 18 dont le dépistage gratuit concerne désormais la quasi-totalité des grossesses.
Mais demain, il n’est pas exclu que la présence d’un gène que l’on aura découvert, prédisposant par exemple à l’homosexualité ou à l’obésité, ne soit pas considéré comme rédhibitoire pour l’enfant à venir, dans une société où les parents souhaitent de plus en plus « choisir » leur enfant. On en arrive à un « eugénisme de précaution » qui, en France, pourrait être insidieusement favorisé par le « Principe de précaution », désormais inscrit dans la Constitution.
Mesdames, Messieurs, nous voici arrivés à la dernière partie de notre exposé, celle où nous allons essayer de répondre à cette question :
Comment des hommes, s’inspirant de la raison et du progrès, ont-ils pu, à partir de la même thèse darwinienne, élaborer des théories aussi radicalement différentes ?
Comment des hommes aux idées aussi opposés, que Marx et Spencer, Engels et Galton ont-ils pu, les uns et les autres, trouver leur caution scientifique chez Darwin ?
En premier lieu, et c’est une évidence, la théorie de l’évolution de Darwin a un caractère d’universalité. Elle peut en effet s’appliquer aussi bien à la Nature qu’au développement social de l’Humanité.
Ensuite, même si c’est une science extrêmement technique, la Biologie pose des questions centrales pour la vie humaine : qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que l’humain, si ce n’est pas simplement de « l’animal » ? Le processus de la vie a-t-il un sens ou doit-il tout au hasard ? Ces questions philosophiques, débordent largement la compétence du biologiste, mais il ne peut les ignorer. Et le philosophe ne peut ignorer les travaux du biologiste.
Jusqu'à Darwin, l’homme pouvait dormir tranquille. L’organisation de la nature était inscrite dans un finalisme ayant pour origine Dieu ou un Grand Horloger.
Jusqu’à Darwin, les découvertes scientifiques les plus révolutionnaires, étaient rassurantes, même si elles dérangeaient l’ordre établi par l’Eglise.
Les mouvements célestes avec Galilée, les systèmes mécaniques avec Newton, répondaient à des lois. La science permettait de rassurer la raison humaine en rapportant les « changements » à des lois stables. Mais avec Darwin le changement n’est plus un épiphénomène, le changement c’est la loi de la vie, soumise au hasard.
L’ordre du monde en était bouleversé et la perspective du hasard ne pouvait qu’ouvrir la porte, à tous les bouleversements, à tous les extrêmes.
Mais, si l’on peut comprendre la réaction d’un monde religieux, agressé dans ses convictions conservatrices, il est plus difficile de comprendre les dérives d’hommes se réclamant de la raison et du progrès.
L’’explication, il faut la rechercher dans le contexte historique. Celui-ci, en effet, est éminemment favorable. La réception de l’œuvre darwinienne se fait dans un environnement, le XIXe siècle, marqué en Angleterre, par une énorme « aspiration vers le progrès ».
C’est l’époque qui voit le développement, de l’industrialisation, du capitalisme et l’émergence d’une classe bourgeoise, qui aspire à sortir de l’ordre ancien, dominé par les traditions aristocratiques et religieuses.
A cela s’ajoute la crainte de la prolifération d’une classe de population, le prolétariat, jugée incapable de contribuer au progrès social, c'est-à-dire a la croissance des ressources. Crainte amplifiée par la thèse de Thomas Malthus (1766-1834), au début du XIXe siècle. En effet, pour ce pasteur et économiste, l’augmentation d’une population sur un territoire donné est plus rapide que l’augmentation des ressources que peut fournir ce même territoire.
De plus, l’accumulation de nouvelles connaissances donne l’impression de pouvoir tout repenser en termes scientifiques et remettre en cause les anciens dogmes immuables.
On attend de la science une vision systématique du monde et de la société. Dans ce siècle de révolution politique, économique, sociale, pas plus le monde que les sociétés humaines, ne sont considérées comme des choses stables et immuables. Les mots évolution et progrès sont devenus des synonymes.
Même Dieu n’est plus gênant, puisque Darwin l’a tué ! Individualisme, eugénisme, rationalisme, fascisme, marxisme peuvent faire bouillonner leurs idées dans un même chaudron, le Darwinisme ! Bernard Shaw lui-même, disait : « Darwin eut la chance de plaire à quiconque avait une hache à affuter »
C’est ainsi, que prenant pour postulat le statut animal de l’homme, certains évolutionnistes vont, sous couvert de rationalisme, jusqu’à remplacer les concepts d’éducation et de liberté, par des notions de dressage et de domestication. Poussant le raisonnement à l’extrême, ils déclarent, que comme en élevage, il faut contrôler la reproduction de l’homme. Sa domestication implique sa soumission aux impératifs sociaux et communautaires. De tels dévoiements du darwinisme donneront naissance à des théories favorables à l’eugénisme ou au racisme.
D’autres, considérant la théorie de Darwin comme un fondement scientifique de l’évolution des sociétés humaines, vont alors proposer aux peuples la seule alternative politique qu’ils jugent souhaitable: une oligarchie, réunissant on s’en doute, des experts agissant au nom du bien de l’humanité toute entière. Le Totalitarisme, puisqu’ il faut bien l’appeler par son nom, apparait alors, comme une forme particulièrement adaptée à ces projets grandioses, qu’ils soient de droite ou de gauche, fasciste ou marxiste.
Mesdames et Messieurs, aucun excès ne justifie son contraire. Exact pendant des excès de spiritualisme, les excès de rationalisme et de matérialisme, se révèlent tout aussi dangereux, lorsque science et philosophie, science et politique s’instrumentalisent mutuellement. Ce danger n’est pas seulement un souvenir du passé, c’est malheureusement aussi une vision de l’avenir très inquiétante.
Aujourd’hui en France, Science et Politique, ont des relations dangereuses car elles ont besoin l’une de l’autre. La recherche parce qu’elle est financée en grande partie par la politique (CNRS par ex). La politique parce qu’elle est sous l’influence du discours scientifique qui lui offre une sorte de caution, une raison d’agir. Comme le dit Didier Sicard, Président du Comité Consultatif National d’Ethique : « Il y a toujours un moment ou la politique prend la science au mot pour transformer la société, au motif que la « science dit vrai ». De toute évidence le Darwinisme a été, l’une des premières théories scientifiques à en faire les frais.
Mesdames et messieurs, nous voici arrivés au terme de cette histoire passionnelle de plus de 150 ans. Je vous livre maintenant ma conclusion .
Tout d’abord, il faut surtout se garder de penser qu’il n’existe que deux choix possibles : d’un côté une science radicalisée par la philosophie et la politique , et de l’autre, une religion fondamentaliste. On l’a vu, ces positions extrêmes nous mènent systématiquement dans une impasse. Elles conduisent toutes au dogmatisme ou au sectarisme.
Comme toujours les réflexions les plus fécondes sont dans l’entre deux, là ou un véritable échange se produit, loin des idéologies qui veulent tout englober.
En fait, Sciences et religion, matérialisme et spiritualisme au lieu de s’opposer doivent se compléter.
Chacun d’entre nous garde en mémoire le jugement et l’abjuration forcée de Galilée, en 1633. Ces faits dans notre paysage culturel résonnent comme le symbole des affrontements entre science et religion.
Pourtant, Galilée a sans doute été le premier à mettre en avant, la complémentarité de la science et de la religion en affirmant lors de son procès : « la science nous dévoile comment est le ciel, la religion nous enseigne comment y aller ! ». Une sorte de laïcité où chacun intervient dans son domaine tout en respectant celui de l’autre.
Parce qu’il est le seul animal à savoir qu’il va mourir, l’homme a besoin de donner un sens à sa vie. La science par son coté rationnel et rassurant peut apporter une réponse à cette quête. Mais la réponse est forcément incomplète. La science ne peut pas expliquer le « pourquoi suprême », ni la valeur éternelle de l’amour. La spiritualité apporte à l’homme, qui veut bien le recevoir, le complément de réponse que la science lui refuse.
Comme le dit le biologiste américain Stephen Jay Gould, « de même que l’organisme a besoin pour subsister, à la fois de nourriture et de sommeil, aucune Totalité ne peut se dispenser des apports variés de parties indépendantes ». Gould, auteur de la théorie évolutionniste de « l’équilibre ponctué », agnostique et pourfendeur du « créationnisme », défend un principe qu’il appelle le NOMA : c'est-à-dire le principe de NOn-empietement des MAgisteres.
Voici comment il le définit : « Premièrement, ces deux domaines ( la science et la religion) sont d’égale valeur et aussi nécessaire l’un que l’autre à toute existence humaine accomplie ; deuxièmement , ils restent distincts quant à leur logique et entièrement séparés quant à leur styles de recherche, même si nous devons étroitement intégrer les perspectives des deux magistères pour élaborer la riche et pleine conception de l’existence que l’on désigne traditionnellement comme « sagesse ».
Un passage de la Bible, illustre parfaitement cette définition. Il s’agit du chapitre 20 de l’Evangile de Jean qui parle du sujet, certainement le plus difficile à appréhender par un scientifique : la résurrection. Jésus ressuscité apparait d’abord à Marie Madeleine, puis à tous les disciples sauf Thomas, alors absent. S’ensuit le récit suivant :
« Thomas appelé Didyme, l’un des douze, n’était pas avec eux lorsque Jésus vint.
Les autres disciples lui dire donc : nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit : si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son coté, je ne croirai point. »
Thomas se comporte la, en vrai scientifique. Il lui faut des preuves. Pas seulement une, mais trois preuves. C’est ce que l’on peut appeler, de la rigueur scientifique.
L’histoire continue. Jésus revient une semaine plus tard. Thomas est présent.
« Jésus vint, les portes étant fermées, se présenta au milieu d’eux et dit : la paix soit avec vous !
Puis il dit à Thomas : avance ici ton doigt, et regarde mes mains, avance aussi ta main et mets la dans mon côté, et ne sois pas crédule, m